Publier sur Internet ne coûte
pas moins cher
Mais la transition est inévitable
(ASP) - Il y a bien plus de ressemblances
qu'on ne l'imagine entre un magazine "papier" et son équivalent
sur Internet. La version papier coûte plus cher?
Faux. La production est plus lente? Tout aussi faux.
Et même du côté du public
le plus sympathique à une version électronique
de ses publications préférées, la
transition du papier à l'écran est très,
très lente.
Ce public, c'est celui des universitaires
et des chercheurs. Il y a 10 ans, ils furent les premiers
à se précipiter sur Internet. Rapidement,
leurs publications hyper-spécialisées (New
England Journal of Medicine, Nature, Cell, etc.) ouvrirent
des sites web. Et plusieurs, à la grande surprise
des internautes, réussirent tout aussi vite à
faire payer leurs abonnés. De là à
croire que ces revues savantes seraient les premières
à abandonner le papier au profit d'Internet, il
n'y avait qu'un pas, que plusieurs franchirent allègrement.
Mais des habitudes de lectures ancrées
depuis des siècles ne se défont pas aussi
facilement, relatent Gérard Boismenu et Guylaine
Beaudry dans Le nouveau monde numérique. Le
cas des revues universitaires. L'exemple du Journal
of Biological Chemistry est à cet égard
instructif: en lançant une version Internet dès
janvier 1995, la direction croyait si fort que l'imprimé
serait rapidement abandonné par les lecteurs -l'information
était disponible plus vite sur le web, et pour
moins cher- qu'elle avait lancé en même temps
une maison d'édition destinée à mettre
en ligne d'autres publications.
Or, la demande pour la version papier n'a
pas ralenti, et aujourd'hui, les deux cohabitent toujours.
Nul ne se risque plus à prédire combien
de temps il faudra avant que le papier ne soit abandonné.
Et il n'y a pas que les habitudes de lecture
qui fassent obstacle. Ceux qui ont prétendu que
la publication sur Internet réduirait les coûts
à zéro ne savaient pas de quoi ils parlaient,
reprochent les deux auteurs, qui furent respectivement
directrice d'une maison d'édition universitaire
et bibliothécaire à l'Université
de Montréal.
Un magazine ne se résume en effet
pas à des coûts d'impression et de poste:
tous les frais de rédaction -le salaire du rédacteur
en chef, celui des réviseurs, graphistes et autres
employés, le loyer, le téléphone-
sont toujours présents; et ils sont même,
en réalité, plus élevés, puisqu'il
faut leur ajouter l'entreposage des textes sur le web,
l'achat des logiciels et de l'équipement de pointe,
sans parler des webmestres et autres coûteux responsables
informatiques. Et encore: les revues universitaires, elles,
ne paient même pas leurs auteurs, puisque les chercheurs
y publient pour la gloire avant tout...
Exprimé autrement: ce qui coûte
cher, quand on produit une publication, qu'il s'agisse
d'un livre, d'un CD, d'une revue savante ou du magazine
7 Jours, c'est la première copie. "Les coûts
fixes ou de préparation de première copie
dominent la structure des coûts pour la production
des revues." Or, une publication sur Internet n'a justement
à payer que la "première copie"... puisqu'il
n'y en a pas d'autres!
Une transition inévitable
Le passage au numérique n'en est
pas moins inévitable. C'est plutôt qu'on
a fait fausse route en se concentrant pendant toutes ces
années sur les mythiques économies financières.
Dans le monde de la recherche universitaire, ce qui compte
de plus en plus -à l'heure où la quantité
d'information disponible double tous les 10 ans!- c'est
l'accès plus facile et plus rapide à l'information
et aux lecteurs -les collègues, les étudiants,
les bibliothécaires, etc. Par ailleurs, dans l'univers
des bibliothèques universitaires, ce qui devient
dramatique, c'est la hausse des coûts d'abonnement
à ces milliers de publications spécialisées.
Or, sur ces deux plans, le numérique bat le papier
à plates coutures.
C'est dans cette perspective que Boismenu
et Beaudry ont contribué, depuis quatre ans, au
montage du projet Erudit.org, dont leur livre contient
en quelque sorte la justification.
Lancé en octobre, Erudit abrite pour
l'instant une quarantaine de revues universitaires québécoises,
la plupart en sciences humaines, et se fixe pour objectif
initial d'atteindre les 300. Le site ouvre ses portes
à toute revue qui souhaiterait y afficher son contenu,
de quelque pays qu'elle soit. La direction d'Erudit, comme
le couple Boismenu-Beaudry, ne se prononce pas sur la
légitimité de rendre ces revues payantes
ou gratuites: à chacune de décider de ses
propres conditions d'accès, en fonction de sa politique
éditoriale ou de ses objectifs financiers.
Le site, qui est le résultat d'une
collaboration entre trois universités (Laval, de
Montréal et UQAM) se donne également pour
but de devenir un dépositaire de prépublications,
c'est-à-dire des recherches complétées,
mais qui n'ont pas encore été publiées
par une revue dotée d'un comité de révision:
comme ce processus peut prendre des mois, c'est une période
au cours de laquelle l'auteur peut au moins assurer sa
paternité sur son uvre.
Enfin, Erudit ouvre la porte à l'archivage
de thèses, un vieux rêve d'une petite poignée
de bibliothécaires québécois qui,
depuis des années, mettent l'épaule à
la roue afin d'inciter leurs universités (surtout
les universités Laval et de Montréal) à
systématiser la mise en ligne des thèses
que publient leurs étudiants, comme cela se fait
depuis pas mal plus longtemps aux États-Unis: une
façon d'éviter qu'une thèse de doctorat,
une fois complétée, ne s'empoussière,
au milieu de milliers d'autres, dans les rayonnages de
la bibliothèque.
Pascal Lapointe