Hier, la NASA a confirmé qu'une prochaine mission de la navette serait dédiée au rehaussement du télescope spatial Hubble. Il s'agira de la cinquième et dernière mission du genre. L'agence spatiale américaine est donc revenue sur sa décision d'assurer la sécurité des astronautes à tout prix, en permettant un vol sur une orbite qui ne permettrait pas de rejoindre la station orbitale en cas de problèmes. D'une certaine manière, la NASA est victime de la pression exercée par les astronomes mais aussi (et peut-être surtout) par celle du public en faveur du sauvetage de ce qui est désormais perçu comme un "trésor national".

Pour mieux comprendre, rappelons quelques faits historiques. La première mention d'un télescope dans l'espace remonte à la fin de la 2ième guerre mondiale, en 1945, suite à la proposition de l'astronome américain Lyman Spitzer. Ce dernier entrevoyait déjà l'avantage d'observer l'Univers sans les problèmes liés à l'astmosphère terrestre (turbulence, absorption, etc.). Il faudra évidemment attendre quelques décennies avant que la technologie des lanceurs soit suffisante pour placer des charges importantes en orbite.

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C'est avec le développement de la navette spatiale, dans les années 1970, que le projet du télescope spatial se précise et prend la forme que nous lui connaissons. Le concept final est celui d'un télescope dont le miroir fait 2,5m de diamètre; c'est un miroir de taille modeste si on le compare a ceux qui existent déjà sur Terre, mais c'est le plus gros qui puisse être lancé par la navette. Comme ses cousins terrestres, ce télescope est doté d'instruments et de détecteurs modulaires qui peuvent être rehaussés par des composantes plus performantes au fil du temps. Les rehaussements doivent être fait in situ par des astronautes. Sur papier, le projet semble très prometteur et ne présente pas de difficultés majeures. Au début des années 1980, la NASA prévoit d'ailleurs que les vols de navettes deviendront quasi-routiniers après un an ou deux de rôdage..! Le lancement du télescope est donc prévu pour 1986.

Malheureusement, les vols de navettes sont plus complexes que prévus. L'horaire des missions retarde et le lancement de Hubble est reporté. L'accident de la navette Challenger, en janvier 1986, repousse encore davantage sa mise en service. Les ingénieurs en profitent pour moderniser les détecteurs avant même que le télescope soit en orbite. Finalement, Hubble est lancé quelques mois après le retour des vols de navette, en avril 1990.

Dès sa mise en service, une autre tuile s'abat sur le projet. Une erreur s'est produite pendant le polissage final du miroir. Les images du télescope ne sont pas aussi nettes que prévues. L'aberration sphérique du miroir dégrade la qualité des images et contrecarre l'avantage d'être dans l'espace. Hubble n'est alors qu'un télescope très coûteux mais tout à fait "ordinaire". Les critiques des médias, des politiciens, et du public (américains) sont immédiates et sans pitié.

Dans les mois qui suivent, la NASA et le Space Telescope Science Institute proposent que la première mission de rehaussement soit dédiée à corriger le problème de "myopie" du miroir. La solution consiste à sacrifier un des instruments modulaires et d'installer à sa place un jeu de lentilles permettant de compenser pour la dégradation optique du miroir primaire.

En même temps, les deux organismes décident de réagir aux critiques en misant sur une campagne de promotion aggressive des résultats scientifiques du nouveau télescope. C'est une première en astronomie, puisque jusqu'alors, les images astronomiques se trouvaient surtout dans les livres d'astronomie ! La campagne promotionnelle du télescope spatial est un vif succès, surtout après la mission réussie du rehaussement de l'optique, en décembre 1993. Les images de télescope spatial "nouveau et amélioré" font la une des journeaux et des bulletins de nouvelles.

Un des effets collatéraux et bénéfiques de cette nouvelle manière de promouvoir l'astronomie, est que la plupart des autres observatoires (au sol ou dans l'espace) font désormais de même. D'une certaine façon, les scientifiques ont compris qu'une partie de leur travail consiste aussi à expliquer ce qu'ils font au grand public.

En contrepartie, un des effets pervers de la médiatisation (à mes yeux exagérée) des succès du télescope spatial est que celui-ci est devenu une sorte d'icône de l'astronomie. À tel point que pour le grand public (et même une partie des astronomes), les recherches astronomiques sont jugées à "l'aune de Hubble". Les résultats scientifiques semblent avoir plus de valeur si les données proviennent du télescope spatial...! Je souligne à nouveau que Hubble est un très petit télescope si on le compare à ceux de la dernière génération des télescopes au sol qui sont 3 à 4 fois plus grands (8 à 10m de diamètre), et dont la qualité des images rivalise avec celle d'un télescope dans l'espace.

Voilà pourquoi j'affirme plus haut que la NASA est victime de son propre succès médiatique avec Hubble. En effet, le remplacement de Hubble par le JWST (James Webb Space Telescope), qui devait avoir lieu avant la fin de la présente décennie, est maintenant retardé à 2013. Or, sans une 5ième mission de rehaussement, le télescope Hubble cessera de fonctionner d'ici 2 à 3 ans. Pour le public, il y aurait donc un hiatus "apparent" de 5 à 6 ans (dans le meilleur des cas) de la recherche en astronomie !

La 5ième mission était prévue depuis plusieurs années sauf que la destruction de la navette Columbia, en février 2003, a chamboulé les plans. L'une des recommandations de la commission d'enquête sur l'accident est que les futures missions fassent en sorte que les astronautes puissent se réfugier dans la station orbitale en cas d'urgence. Cette recommandation impose des contraintes très fortes sur l'orbite de la navette. En principe, une application stricte de la recommandation exclue toute mission vers Hubble puisque l'orbite et l'altitude de celui-ci ne sont pas compatibles avec celles de la station orbitale. D'ailleurs, peu de temps après la parution du rapport, la NASA a annulé la 5ième mission.

L'annonce d'hier, à l'effet qu'une mission de rehaussement aura lieu au plus tard en 2008, est un renversement complet de part de la NASA. Je suis convaincu que que ce choix n'est pas uniquement justifié par des considérations scientifiques. L'opinion publique a certainement joué un rôle dans ce revirement.

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