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Entre scientifiques et journalistes, il y a un gros malentendu : celui voulant que le « mauvais journalisme » se résume à de « l’ignorance ». Autrement dit, si seulement on pouvait mieux les « éduquer », ces vilains journalistes, la science dans les médias serait de bien meilleure qualité. Deuxième partie.

Tout d’abord, les faits démontrent que la profession n’est pas en manque de journalistes « qui savent ». Certes, il y aura toujours des paresseux et des incompétents. Mais outre que le nombre de journalistes détenteurs d’une maîtrise ou d’un doctorat ne cesse de croître, la quantité de formations professionnelles offertes aux journalistes n’a jamais cessé elle non plus de gagner en quantité et en qualité. Dans des petits marchés comme le Québec, on en arrive même à un point de saturation : certaines formations ne trouvent plus preneur, parce que la majorité de ceux qui voulaient ou pouvaient la suivre, y sont déjà passés (ceci exclut, on l’aura compris, les paresseux et les incompétents qui sont, par définition, hors d’atteinte).

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Et pourtant, les erreurs ou imprécisions qui choquent tant les scientifiques continuent en tout aussi grand nombre : la Grande-Bretagne, où les initiatives pour former de meilleurs journalistes n’ont pas manqué, est néanmoins le pays où les médias ont accordé le plus de foi au pseudo-scandale du climategate, en 2009-2010. Et où la résurgence du mythe sur un lien vaccin-autisme a fait le plus de dégâts depuis 2008.

Pourquoi cela? Parce que ces efforts pour soi-disant améliorer la qualité de l’information scientifique ne ciblent que les journalistes. Jamais les éditeurs.

Autrement dit, les scientifiques et leurs alliés ciblent les journalistes, tels des cruches qu’il suffirait de remplir afin que la science se porte mieux dans les médias. Mais ils oublient que s’il y a si peu de journalistes pour couvrir la science dans les médias —et si, en conséquence, tant de « généralistes » se retrouveront à couvrir le climategate un matin, et la frasque d’un politicien l’après-midi— c’est avant tout parce qu’aucune pression n’est mise sur les éditeurs pour qu’ils couvrent davantage la science.

Dialogue plutôt que transfert

Ceux qui proposent d’abandonner une fois pour toutes le mythe du déficit de connaissances entrevoient une relation qui cesserait d’être de l’ordre du transfert du haut (les Grands Sages) vers le bas (la plèbe) et tiendrait plutôt du dialogue. Dans le cas de la relation science-médias par exemple, un dialogue commencerait logiquement par un effort pour mieux comprendre comment l’autre travaille. Ainsi, de la même façon que c’est le métier des journalistes scientifiques que d’essayer de comprendre comment travaillent les scientifiques, bien des scientifiques qui critiquent les médias auraient intérêt à apprendre pourquoi les médias fonctionnent ainsi.

« Il pourrait être profitable pour les scientifiques, les citoyens et les journalistes de mieux comprendre les paradigmes des uns et des autres », a écrit en 2002 le climatologue Stephen Schneider. Décédé l’an dernier, il est l’un de ceux dont la sagesse était saluée des deux côtés de la frontière, autant par les scientifiques que par les journalistes.

Dialogue 2.0?

Dialogue, discussion, ponts à jeter entre le « savant » et le « citoyen »... C’est là, maintes fois exprimées, tout ce qui pousse des scientifiques à vouloir bloguer, podcaster, twitter. Se pourrait-il que le Web 2.0 soit en train d’écrire cette nouvelle façon de vulgariser? C’est le souhait que manifestait le journaliste Andrew Revkin dans la conférence mentionnée dans le billet précédent.

Je ne sais pas si ça va fonctionner... J’ai cette vision dans ma tête : construire sur le Web un environnement d’apprentissage collaboratif, dynamique. Distinct de Wikipédia. Qui deviendrait un détour obligé pour les gens qui veulent savoir quel est l’état des connaissances sur un problème comme « comment nourrir une planète qui s’en va vers 9 milliards d’habitants ».

Et inutile d’aller chercher bien loin : à peu près tous les scientifiques blogueurs anglophones qui, depuis le milieu des années 2000, ont tenté d’expliquer pourquoi ils bloguaient, ont cité la nécessité de se rapprocher du citoyen, d’établir de nouveaux rapports de proximité, d’inverser le rapport de pouvoir... Ou bien, leur rêve de contribuer au livre de référence de l’ère Web 2.0.

Ça non plus, direz-vous, ça n’a rien de nouveau. En fait, tant qu’on n’a pas présenté un exemple concret, tout ça semble relever du gros bon sens. Allons-y d’une autre citation : « Dans les sociétés modernes », écrivait en 2005 David Dickson, rédacteur en chef de SciDev.net et ancien journaliste pour Nature...

...particulièrement à cause du pouvoir des technologies de communication modernes et de leur omniprésence, la confiance et le respect doivent être générés. Ils ne peuvent plus être pris pour acquis ou imposés d’en haut.

Gros bon sens, là aussi et pourtant, à en juger par la façon dont tant de gens —pas juste des scientifiques— continuent d’adopter spontanément le modèle du déficit de connaissances, le gros bon sens semble rapidement balayé sous le tapis, du moins dès qu’il s’agit d’un sujet scientifique.

Donnons alors le mot de la fin à ces gens du Kansas. Dans ce royaume du bovin et du 4X4, des gens qui ne peuvent supporter de voir Al Gore en peinture, qui sont à deux doigts de croire que le réchauffement climatique est un canular de ces gauchistes new-yorkais, sont devenus de féroces militants des économies d’énergie. (lire In Kansas, climate skeptics embrace cleaner energy).

Comment les environnementalistes locaux ont-ils accompli cet exploit? En parlant le même langage qu’eux : défendre « l’indépendance énergétique des États-Unis » et « rendre l’Amérique plus forte ». Ils n'ont peut-être pas appris que la Terre se réchauffe, mais certains sont à présent incollables sur les questions d'économies d'énergie.

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