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Une « bible » annuelle de l’état des médias est parue la semaine dernière : le State of the News Media 2011. Un document d’une grande richesse, dont deux des constats touchent au coeur même de ce que sera, ou ne sera pas, l’information de qualité.

Le premier constat était prévisible, on savait depuis des années que ça finirait par arriver : en 2010, pour la première fois, davantage d’Américains ont pris leurs nouvelles du web plutôt que des journaux. Et ça se vérifie aussi dans la pub, dont la croissance en ligne a été de 13,9%, pour atteindre 25,8 milliards$.

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Le deuxième constat est moins spectaculaire, mais découle en droite ligne du premier. Avec ce déplacement des lecteurs, vient aussi un déplacement des revenus. Sauf que là, tout reste à définir :

Le plus grand défi pourrait être non pas le manque d’audience ou même le manque de nouveaux revenus. Mais plutôt que dans le royaume numérique, l’industrie de l’information n’est plus en contrôle de son propre futur. (...) Chaque nouvelle technologie a ajouté une couche de complexité — et un nouveau groupe d’acteurs — en connectant [directement le] contenu aux consommateurs et aux annonceurs.

Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour le journalisme?

- C’en est une bonne si, parmi ces nouveaux intermédiaires, il y en a qui se soucient d'investir dans la qualité de l’information, et ce, que celle-ci soit ou non profitable. On peut donner en exemple ces fondations américaines, apparues ces dernières années pour financer le journalisme d’enquête, comme celle derrière le magazine Pro Publica. - C’en est une mauvaise quand la course à l’audience prend le pas sur tout le reste, comme ça semble être le cas au très populaire Huffington Post. Dans un modèle « 100% Huffington Post », le journalisme scientifique n’a malheureusement pas beaucoup d’espoirs de fleurir.

Il y a une allusion en ce sens, dans le State of the News Media 2011 , lorsqu’il est question d’embauche. Les auteurs y rappellent qu’alors que la presse écrite continue de couper (1000 à 1500 emplois perdus en 2010 aux États-Unis), le web commence à embaucher : Yahoo a par exemple ajouté plusieurs dizaines de journalistes à son équipe. Or, le succès du HP témoigne d’une tentation dangereuse : celle de remplacer du journalisme de talent par des scribes sous-payés pour écrire à la chaîne, ou par des blogueurs bénévoles. Si ça rapporte davantage d'audience, quel éditeur voudrait s'en priver?

Robert Picard, économiste des médias à l’Université Oxford, appelle ça « la dé-qualification » d’une profession (de-skilling). « Moins bonnes payes, plus de demande pour la vitesse, moins de formation et plus de bénévolat. »

Et les niches?

Restent toutefois les médias de niche, ou spécialisés, dont j’avais déjà parlé ici et ici. Le rapport (sous l'égide du Project for Excellence in Journalism, à Washington, dont c'est la 8e édition) salue une poignée de magazines qui se portent assez bien —The Economist, The Atlantic, The New Yorker— alors que l’industrie du magazine continue pourtant de reculer. Ces bien-portants, comme par hasard, n’ont pas hésité à investir dans une information de qualité. Mais, ajoute aussitôt l’auteur, il s’agit également de magazines destinés à un auditoire « élitiste » —donc, qui a les moyens de renouveler ses abonnements (et ça, ça attire des annonceurs). Qui se souciera de diffuser de l’information de semblable qualité pour le grand public, si les autres éditeurs ne s’en soucient pas?

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A suivre : le New York Times payant, un test.

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