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Si vous travaillez pour un petit organisme de vulgarisation, ou pour un petit média de quelque domaine que ce soit, et que vous recherchez des modèles sur Internet, vaut peut-être mieux observer ce que font les autres petits, que de se comparer aux géants.

Ceci est le texte d’une conférence que j’ai donnée le 7 décembre, dans le cadre du congrès annuel de Science pour tous, sous le thème de L’utilisation des nouvelles technologies dans les médias. Cette conférence, en plus de rejoindre une partie de ce qui s'écrit par les temps qui courent sur la crise des médias, complète plusieurs des thèmes abordés dans ce blogue.

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Le site web de l’Agence Science-Presse a toujours eu peu de moyens, et s’en est assez bien sorti. Le truc a toujours été de faire ce que nous aurions déjà fait, avant Internet... mais en étirant l’élastique un peu plus. Et en l’étirant, on arrive depuis 15 ans à produire du contenu original sur Internet, qu’on n’aurait pas produit avant, simplement parce qu’on n’avait pas autant de place dans l’univers papier.

Pour vous donner une idée : auparavant, l’Agence produisait des articles et des brèves chaque semaine, qui devaient être assez intemporels pour que des journaux hebdomadaires puissent les réutiliser deux ou trois semaine plus tard. Aujourd’hui, on produit un mélange de ces articles intemporels et d’articles collés sur l’actualité, sachant que des internautes vont vouloir lire ces derniers. Mais sans pour autant essayer de nous transformer en un CNN de la science.

Dit ainsi, ça peut sembler ridicule, et pourtant, dans les années 1990, aux États-Unis, au Québec et ailleurs, beaucoup de petits médias, en science, en culture, en sports, ont essayé de faire des CNN d’eux-mêmes. Vous connaissez tous la phrase-clef : ça ne coûte rien, produire sur Internet.

Il leur a parfois fallu des années avant de se rendre compte que ça coûte du temps. Avec deux personnes, une personne, voire une demi-personne, ce qui est le lot même d’organismes subventionnés, nul ne peut faire de miracles. Et c’est souvent pour ça qu’on a vu mourir, depuis 15 ans, des tas de sites de très bonne qualité : l’essoufflement, quand on s’aperçoit que ce n’est pas aussi facile que les gourous d’Internet voulaient le faire croire.

Alors notre stratégie plus tranquille, elle ne nous a pas trop mal réussi. À en croire Sciences et avenir du mois dernier, on serait parmi les 100 meilleurs sites de science dans le monde francophone. On peut relativiser ce jugement, mais c’est quand même la plus récente d’une longue série de petites tapes sur l’épaule obtenues depuis 14 ans.

L’avenir est-il aux petits médias?

Mais on n’est pas non plus un cas unique, comme petit média. Vous n’êtes pas sans savoir que l’univers des grands médias se porte mal, en particulier les journaux, suivis des nouvelles radio et TV : les journaux vivent une crise du lectorat, ont été frappés par la crise économique, longtemps avant qu’il n’y ait une crise économique. Ils coupent dans leur personnel et dans le nombre de pages. Le journalisme scientifique en subit les contrecoups : aux États-Unis, au Canada et en Europe, le journalisme scientifique recule depuis les années 80 dans les grands médias. Parfois parce qu’il y a moins de pages « Science » dans les journaux, parfois parce qu’il y a moins de journalistes à temps plein. Ou bien un mélange des deux facteurs.

Or, il y a une hypothèse, qui veut qu’à cause de ces coupures dans les grands médias, ce soient vers les petits médias que soit tenté de se replier le contenu journalistique original, l’enquête, le reportage de longue haleine, bref tout ce qui n’est pas rentable. Pourquoi les petits médias? Peut-être parce qu’ils sont plus flexibles.

Aux États-Unis, plusieurs des meilleures percées en journalisme scientifique de ces dernières années, proviennent de tels médias. Climate Wire, gagnant au début de 2010 d’un prix de journalisme de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, pour une série de reportages sur les réfugiés climatiques. Pro Publica, et sa longue série de reportages sur le gaz de schiste. E360, lui aussi gagnant d’un prix, de l’Association américaine des éditeurs de magazine, pour son reportage Leveling Appalachia.

C’est étonnant de voir que pendant que ces bons coups émergent, ça va de plus en plus mal ailleurs. Je parlais du recul du journalisme scientifique, dont les chercheurs tracent les débuts des coupures dans les années 80. Mais plus récemment, une sous-branche, le journalisme environnemental, a elle aussi subi les contrecoups de la crise. Depuis 2-3 ans, le journalisme environnemental décline systématiquement dans les grand médias nord-américains et européens. À la conférence de Copenhague sur les changements climatiques, l’an dernier, il y avait 4000 journalistes; il y en a vraisemblablement moitié moins à Cancun en ce moment.

Le magazine américain Grist publiait le printemps dernier un vidéo humoristique : sauvez cette espèce en voie d’extinction qu’est le journaliste environnemental!

Ce ne serait pas négatif si les éditeurs choisissaient de dire à leurs journalistes : vous avez assez parlé des changements climatiques, concentrons-nous plutôt sur les questions d’énergie, la dépendance au pétrole, les énergies nouvelles. Mais non, ils coupent. Même la prestigieuse BBC, semble-t-il, a développé la conviction depuis un an que chaque fois qu’elle parle des changements climatiques, les cotes d’écoute baissent.

Alors pour l’instant, des petits médias comme Grist, ou comme ceux que je citais plus haut, gardent le fort grâce à de généreux mécènes ou à des fondations.

Cette survie cache deux problèmes : est-ce que ça peut durer assez longtemps, un média qui repose sur une fondation ou un mécène? Et est-ce que ça ne va pas accentuer encore plus la fragmentation des auditoires?

Parce que la fragmentation des auditoires, ça veut généralement dire une information à deux vitesses. On peut en théorie se réjouir qu'il y ait un jour suffisamment de mécènes ou de lecteurs riches prêts à payer pour accéder à l’information d’un Pro Publica ou d’un Climate Wire, en environnement... Mais imaginez que vous ayez la même chose en politique, culture, international, éducation : il ne faudra pas beaucoup de temps avant que les meilleures conditions de travail, les meilleurs vulgarisateurs, les meilleurs chasseurs d’informations, ne se retrouvent là.

Vous auriez d’un côté ces médias de qualité, mais accessibles seulement aux lecteurs qui auront les moyens de payer. Et de l'autre, des médias généralistes faits par une masse d’anonymes sous-payés, produits en 4e vitesse.

Jusqu’où ira cette évolution, cette régression, ça va dépendre du public. De la façon dont le public le plus concerné, le plus allumé, va réagir (ça, c’est vous).

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