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Quel lien peut-il y avoir entre le New York Times en ligne qui devient payant et la « madamisation » de l’information? Suivez le guide.

Avec l’apparence de condescendance, le journaliste du Devoir Stéphane Baillargeon a provoqué une mini-crise dans la mini-communauté des twitteurs québécois :

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Au fond, si [le magazine] Madame au foyer disparaît, c'est peut-être aussi parce que les autres médias pastichent et relaient maintenant allègrement sa formule, avec vie pratique, consommation, cuisine, bien-être, mode, beauté, santé et cocooning partout, tout le temps.

Observant le phénomène, une collègue féministe de la salle de rédaction du Devoir a parlé de la «madamisation des médias».

Ça n’a pourtant rien de révolutionnaire, aussi hautain que ça ait l’air. L’information qui harponne, c’est effectivement le superficiel avant l’enquête, le people avant l’analyse, la mode avant la science, la cuisine avant les écosystèmes. Jadis, on apprenait aux journalistes comment écrire pour être compris de « la madame de la rue Panet » ou de « la tante de Saint-Hyacinthe ». Ce n’était pas condescendant, ça disait bien ce que ça disait : il y a des sujets qui harponnent plus que d’autres. Et ils font vivre bien des magazines dont les écoles de journalisme préfèrent ne pas trop parler.

Ce qui nous amène au New York Times. Il y aura ceux qui s’opposeront férocement, presque théologiquement, à sa décision de devenir payant —l’information doit être libre! Et il y a tous les autres. La majorité silencieuse. Paieront-ils? Jugeront-ils qu’un journalisme de qualité vaut la peine de dépenser quelques dollars?

D’après l’édition 2011 du State of the News Media , 39% des Américains jugeraient que la disparition de leur journal local n’aurait « pas d’impact du tout ». D’après l’édition 2010, un tiers avaient, en matière de nouvelles, une « destination » qu’ils qualifiaient de « ma préférée » et parmi eux, 19% se disaient prêts à payer si ce site instituait un accès payant. C’est vraiment pas beaucoup.

Les journalistes aiment bien se faire croire que sur Internet, quiconque produit une information de qualité réussira à en dégager des revenus, mais le fait que le Times ne soit que le cinquième quotidien à risquer l’accès payant témoigne d’un terrain autrement plus miné.

Nous vivons dans une société qui ne valorise pas le journalisme de qualité. L’information, oui : il y en a partout, pour tout le monde, et ça va continuer de croître. Le journalisme, c’est moins sûr. Rappelez-vous l’exemple du Huffington Post, dans le billet précédent : un contenu abondant, rapide, mais généralement superficiel, plus « madame », en tout cas à des années-lumière du journalisme d’enquête fouillé, étoffé, socialement utile, à la Pro Publica. Lequel des deux ramasse le plus de revenus publicitaires, croyez-vous? Et lequel des deux ne survivrait pas aujourd’hui s’il n’avait pas derrière lui un généreux mécène?

Pas facile de faire comprendre ça au simple lecteur, à l’heure où tout le monde et sa grand-mère peuvent bloguer. Certaines grands-mères ont même une très belle plume, alors qu’est-ce qui les différencie des journalistes, disent leurs disciples qui, eux, ne voient pas la différence entre un texte écrit sans fautes et un texte réécrit 100 fois. Le State of the News Media, encore lui, avait vu ça aussi, pas dans son rapport 2011 mais dans le précédent : la révolution numérique, en accentuant la vitesse, la diffusion, la dissémination, élimine la réflexion. Élimine « le supplément d’enquête qui permettrait de dévoiler davantage de faits ».

Je ne sais pas si le New York Times réussira son pari. Je sais juste que s’il n’en tenait qu’aux Arianna Huffington de ce monde, il n’y aurait plus de New York Times, ni de journalistes, en tout cas pas des journalistes qui mériteraient d’être payés. À ceux qui, en février, après l’achat du HP par America Online pour 315 millions, lui reprochaient d’avoir bâti son succès sur le dos de milliers de blogueurs-journalistes-collaborateurs bénévoles, elle répondait que ces geignards n’avaient rien compris à la révolution numérique. « L’expression personnelle est devenue une incroyable source d’accomplissement et de distraction pour les gens. » Vous ne voudriez quand même pas les payer, en plus?

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