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Dans la nuit du 17 avril 2002, les pilotes américains Harry Schmidt et William Umbach retournaient à leur base après dix heures de patrouille dans le ciel de l’Afghanistan. Volant dans leur F-16 à 7000 mètres d’altitude au-dessus de Kandahar, ils se crurent attaqués par des missiles provenant du sol.

Sans respecter le protocole à suivre dans un cas pareil, ils larguèrent une bombe de 500 livres vers ce qu’ils pensaient être la source du danger. En fait, il s’agissait d’un exercice de combat de nuit des troupes canadiennes qui, pourtant, avaient pris toutes les dispositions requises pour éviter ce genre d’accident. La bombe tua quatre jeunes soldats et en blessa huit autres. Amenés à comparaitre en cour martiale pour leur action, Umbach et Schmidt expliquèrent pour leur défense que leur jugement avait été faussé par leur utilisation, ordonnée par leurs supérieurs, de «go pills». C’est le terme employé pour décrire les capsules d’amphétamine qui étaient et qui sont toujours utilisées par les militaires américains, en particulier les pilotes, pour combattre la fatigue.

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Pour comprendre l’origine de cet attrait des forces armées pour cette drogue, il faut remonter aux années 1920, en Californie. Un jeune biochimiste du nom de Gordon Alles cherchait un substitut à l’éphédrine pour traiter l’asthme. Cette molécule d’origine naturelle était à l’époque le seul traitement disponible pour cette condition, mais, en raison de sa popularité et du fait que l’éphédrine ne se trouvait que dans une plante poussant exclusivement en Chine, sa production ne suffisait pas à la demande. L’intérêt d’Alles se porta sur une molécule synthétisée en 1887 par le chimiste roumain Lazar, la bêta-phénylisopropylamine, dont la structure était similaire à l’éphédrine. Le 3 juin 1929, il se fit injecter une dose de 50 mg de la substance –à l’époque, il était courant pour les scientifiques d’agir comme leur propre cobaye. Les résultats ne se firent pas attendre; sa tension artérielle augmenta de manière radicale et, surtout, son corps fut envahi par un sentiment de bien-être. Les tests subséquents avec des patients indiquèrent que, malheureusement, la molécule, qui prit le nom d’amphétamine, n’était pas efficace dans le traitement de l’asthme. Par contre, les individus traités avec l’amphétamine rapportaient un sentiment d’euphorie en même temps qu’une vivacité accrue.

Comme la molécule était déjà connue, Alles ne pouvait pas prétendre à un brevet pour sa découverte. Il pouvait par contre le faire pour ses propriétés médicales. N’ayant pas les moyens d’effectuer à lui seul la mise en marché de l’amphétamine, il s’allia à la compagnie pharmaceutique Smith, Kline and French (SKF). L’amphétamine, grâce à ses propriétés stimulantes, pouvait aider les personnes souffrant de narcolepsie, mais le nombre de patients était trop faible pour créer un marché profitable. Il restait le sentiment d’euphorie. Ceci amena SKF à mettre sur pied une campagne publicitaire mettant en valeur l’amphétamine comme traitement contre «… l’apathie, le découragement et la fatigue». Les résultats dépassèrent les prévisions les plus optimistes. Le public américain adopta avec enthousiasme cette nouvelle «potion magique» qui redonnait la joie de vivre et effaçait la fatigue. Contribuant au succès du médicament, Allen avait créé une forme d’amphétamine qui pouvait se prendre par voie orale au lieu d’être injectée ou inhalée.

Dans les années précédant la Deuxième Guerre mondiale, des millions d’Américains de toutes les classes de la société prenaient régulièrement ces tablettes qui se vendaient sous le nom de Benzédrine (ci-haut). Toutefois, avec le succès de la drogue, les effets néfastes de l’amphétamine se firent de plus en plus apparents. À part les troubles psychiques tels que psychose et paranoïa, il s’agissait surtout des problèmes de tolérance et d’accoutumance. Des problèmes qui n’empêchèrent pas les autorités militaires américaines (et britanniques), une fois la Deuxième Guerre mondiale déclarée, de promouvoir l’utilisation de l’amphétamine par les troupes pour combattre la fatigue et augmenter l'endurance. Il y a aussi le fait que l’amphétamine a des propriétés coupe-faim, ce qui pouvait être un effet désirable dans une situation de combat.

Les Allemands s’intéressaient eux aussi aux propriétés militaires de l’amphétamine. Ne pouvant évidemment pas s’en procurer auprès des Américains, ils se tournèrent vers une molécule analogue, la méthamphétamine*. Disponible sous le nom de Pervitin, la méthamphétamine fut distribuée à des millions d’exemplaires aux troupes allemandes au début de la guerre. Certains attribuent justement leurs succès durant leur Blitzkrieg de 1939-1940 à la méthamphétamine. Mais dès 1941, les Allemands avaient pris conscience des effets secondaires associés à la méthamphétamine et cessèrent de l’utiliser pour le reste de la guerre.

Ce ne fut pas le cas pour les forces américaines et britanniques qui continuèrent de s’appuyer sur l’amphétamine tout au long de la Deuxième Guerre mondiale. L’accident de 2002 en Afghanistan montre que c’est encore le cas. Devant leur cour martiale, Schmidt et Umbach faisaient face à quatre accusations d’homicide involontaire, huit accusations de voies de fait grave et une accusation de «manquement au devoir».

La cour militaire américaine rendit son jugement le 6 juillet 2004. Elle prononça un non-lieu pour toutes les accusations contre Umbach. Quant à Schmidt, il fut condamné pour «manquement au devoir» et eut à payer une amende de 5 700 dollars accompagnée d’une réprimande officielle.

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* La méthamphétamine est produite sous une forme cristalline d’où son surnom de crystal meth.

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