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Ceci n’est pas un scoop : le mauvais journalisme, ce n’est pas uniquement la faute aux journalistes. Parfois, ce sont les scientifiques qui beurrent un peu trop pour attirer l’attention.

Non, je ne reparlerai pas de l’étude de Gilles-Eric Séralini sur les OGM et de sa stratégie de communication. Encore qu’elle servira peut-être, un jour, de modèle aux chercheurs qui tenteront de reproduire les résultats d’Isabelle Boutron, de l’Université Paris Descartes. De son étude parue deux semaines avant celle de Séralini, on apprenait que jusqu’à 40% des résumés (abstracts) ou des conclusions publiés par les chercheurs contiennent un « spin ».

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C’est-à-dire, en bon français, une stratégie, intentionnelle ou non, visant à mettre l’emphase sur les effets bénéfiques d’un traitement. Aussi hypothétiques que puissent être ces effets.

Pas étonnant qu’ensuite, 47% des communiqués de presse insistent eux aussi là-dessus —et du coup, bien des journalistes reprendront l’exagération en se fiant au communiqué, au résumé de l’étude ou à sa conclusion.

Les auteurs se sont uniquement penchés sur des publications relatant les résultats d’essais cliniques. Bémol important, leur échantillon n’est composé que de 41 études.

La quête du gros titre

Ce dont on parle ici, ce sont ces manchettes tapageuses (« Les OGM sont des poisons! » pour prendre un exemple tout à fait au hasard) qui irritent autant les scientifiques que les journalistes scientifiques : on a découvert un nouveau traitement contre le cancer, ou bien on a découvert le gène de... Ces manchettes qui donnent de la science une image déformée où le « savant » passe ses journées à faire des découvertes.

Les profs de journalisme trouveront cette autre donnée de l’étude Boutron encore plus intéressante : lorsque l’étude scientifique ne contient pas de « spin », seulement 17% des textes journalistiques entrent dans la catégorie « sensationnaliste » (telle que définie par les auteurs). Et du nombre, la majorité ont puisé l’exagération dans le communiqué de presse.

Si ces résultats ont de quoi faire réfléchir les scientifiques sur leur responsabilité (ou celle de leurs institutions), ils ne sont en revanche pas étonnants pour les profs de journalisme : eux ont vu passer depuis belle-lurette des statistiques sur le nombre effarant de textes journalistiques dont la source première (voire, parfois, unique) est le communiqué de presse. Mais ce problème du journaliste qui s’alimente trop aux communiqués n’a rien à voir avec une méconnaissance de la science : c’est un problème beaucoup plus vaste, lié aux coupes budgétaires dans les médias et à la survalorisation de l’instantanéité.

En revanche, plus près de la science, une illustration de ce dont parlent Isabelle Boutron et ses collègues nous a été fournie le mois dernier par une grosse publication, mais qui a fait beaucoup moins de bruit que Séralini, appelée ENCODE (Encyclopedia of DNA Elements).

ENCODE est un méga-projet international qui vise à produire un portrait plus global des variations que connaît le génome humain d’une personne à l’autre. Le mois dernier donc, ENCODE a publié simultanément plus de 30 articles. Le principal, dans Nature , est signé à lui seul par 450 auteurs de 30 institutions. Et attention, il faut voir cette parution en série non comme un aboutissement mais comme une étape d’une immense recherche qui est loin d’être terminée : on identifie des briques les unes après les autres, et il reviendra à d’autres chercheurs de s’attarder à ces briques, une par une, pour dire à quoi elles servent.

Et pourtant, ça n’a pas empêché une bonne partie des reportages de donner l’impression qu’on venait finalement d'assigner un rôle à la majorité de ces briques : on aurait « démontré » que 80% de ce qu’on appelle « l’ADN-poubelle », censé ne servir à rien, aurait bel et bien une fonction.

Le problème, c’est qu’il y a des décennies que les scientifiques savent que les gènes composant cet « ADN-poubelle » ont bel et bien des fonctions (pas « une » mais « des »), c’est juste qu’on ne sait pas lesquelles.

Pourquoi donc a-t-on eu droit à ces gros titres? Eh bien parce que certaines des institutions impliquées ont elles-mêmes titré ainsi leurs communiqués de presse : le Laboratoire européen de biologie moléculaire, le Massachusetts Institute of Technology... et les relations publiques de la revue Nature! L’article scientifique central lui-même contient une phrase, dans le tout premier paragraphe, qui a contribué à entretenir la confusion chez quiconque ne maîtrise pas le jargon des généticiens :

Ces données nous ont permis d’assigner des fonctions biochimiques à 80% du génome.

Autrement dit, ça y est, on sait maintenant à quoi sert 80% du génome? Eh non, on est loin d'en être arrivé là. Mais ça sonne tellement bien, comment résister à en faire l’amorce d’un communiqué de presse?

Pour comprendre le fond de l’histoire, il faut faire un long détour —je recommande par exemple à ceux qui en ont la patience, ce long article du journaliste américain John Timmer.

Il y a eu un flot régulier de communiqués de presse agissant comme si la découverte d'une fonction [pour ce type de gène] était une complète surprise. Et plusieurs étaient accompagnés de citations de scientifiques qui soutiennent cette fausse histoire.

Au terme de ce détour, si vous êtes journaliste ou relationniste, vous n’aurez plus envie de faire la même manchette tapageuse —mais je suis sûr que vous serez capable de trouver une amorce bien plus originale.

Par contre, si vous êtes scientifique, vous devriez peut-être vous aussi faire ce détour. Pas pour soigner votre prochain premier paragraphe dans Nature, non. Plutôt pour prendre conscience que la communication scientifique est une longue chaîne, et qu’il est un peu facile de toujours blâmer le même maillon.

Je donne