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Il y a 15 ans, le mot «cybermagazine» provoquait des regards condescendants. La semaine dernière, un prix Pulitzer tombait non seulement dans la besace d’un média en ligne, mais en plus, un petit média spécialisé... dans les questions climatiques et environnementales!

Le Pulitzer est le plus prestigieux prix de journalisme aux États-Unis et Inside Climate News (ICN) a décroché le Pulitzer 2013, catégorie «reportage national», pour une série de reportages sur une marée noire survenue en juillet 2010 dans la rivière Kalamazoo, au Michigan. «La plus grosse marée noire dont vous n’avez jamais entendu parler.» Une fuite catastrophique pour la région, dans un pipeline acheminant un certain pétrole de certains sables bitumineux albertains...

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Ces reportages, fruit d’un travail de sept mois, ont peut-être contribué, au pays d’Obama, à élargir le débat sur la sécurité des pipelines. À quand pareil média en français?

Oui, me direz-vous, avec 315 millions d’habitants, ça fait une masse critique de lecteurs pas mal plus élevée, quels que soient les sujets. N’empêche : quelques mois après avoir appris que les pages Science dans les journaux américains avaient dégringolé de 95 à 19 en deux décennies, quelques semaines après avoir appris la fermeture du Green Blog du New York Times et de sa section environnementale, Inside Climate News démontre que des passionnés tiennent encore le flambeau.

À long terme toutefois, qui va les maintenir en vie? Ça reste la grosse inconnue. Pour l’instant, deux des trois publications Internet à avoir remporté un Pulitzer —dont Pro Publica deux fois et maintenant Inside Climate News— sont logées à la même enseigne : le mécénat. La troisième est le Huffington Post, qui est toutefois loin de se spécialiser uniquement dans le journalisme de qualité.

Pro Publica —magazine voué au journalisme d’enquête— et Inside Climate News, eux, sont des organismes à but non lucratif. Aucun ne pourrait survivre par la publicité seulement, et leur contenu est gratuit. Une dizaine de fondations sont derrière Pro Publica (la liste s’est allongée depuis un an, signe que le magazine a gagné en respectabilité). Cinq fondations sont derrière ICN, né en 2007, et les deux publications sollicitent les dons des particuliers.

ICN est fier de dire qu’il est passé «d’une équipe fondatrice de deux personnes à une salle de nouvelles virtuelle de sept journalistes». Ce qui, mine de rien, en fait la plus petite salle de nouvelles d’un journal en ligne à avoir remporté un Pulitzer, ironise-t-on chez Forbes . ICN a même coiffé au poteau le Boston Globe et le Washington Post , les deux autres finalistes cette année dans la même catégorie.

Et on est aux États-Unis, avec 315 millions d’habitants : on peut imaginer ce qu’il en serait au Québec, avec 45 fois moins de lecteurs.

Leurs sujets sont dramatiquement importants: marée noire dans la rivière Kalamazoo pour ICN, banquiers de Wall Street pour le dernier Pulitzer de Pro Publica. Cette dernière fut aussi la première à publier des reportages approfondis sur le gaz de schiste —à présent plus de 100 reportages en trois ans!

Sauf que de tels sujets sont peu attrayants pour des annonceurs... et pour le « grand public » : bien que Pro Publica ait commencé à publier ses reportages sur le gaz de schiste à la fin de 2009, ce n’est pas avant l’automne 2010 que le sujet a commencé à percer la barrière du public.

En attendant, des prix de journalisme ont un autre avantage: faire tomber les préjugés. Ce n’est après tout que depuis 2009 que les médias en ligne sont «admis» aux Pulitzer...

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