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Il y a quelques temps, un fait divers avait défrayé la chronique en Grande Bretagne. Sur cette base, j'ai écrit la courte nouvelle que voici (nouvelle que je viens de soumettre à un appel à texte du Groupe vaudois de philosophie , en Suisse).

-- Pierre --

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Je ramasse les restes de ce qui fut autrefois un téléphone. J’ai craqué. Je n’en peux plus. Depuis qu’on est rentré de la clinique, on a droit à vingt appels par jour: des journalistes, des sympathisants, des religieux. Des menaces, des encouragements … et mon avis ! On veut que je donne mon avis !

Mais qu’est-ce qu’ils croient, tous? Qui sont-ils pour nous questionner pareillement? Des questions à peines déguisées en jugement de valeurs! Ma belle-mère est la mère gestationnelle de mon fiston. Et alors? Ce que j’en pense? C’est que mon enfant est né! Il est là! Cinq ans qu’on le veut ce gamin! Et pas un qu’on rêve! On en voulait un qu’on puisse aimer pour de vrai, qu’on puisse embrasser et entendre rire. Pour de vrai. Un à nous! Un qui nous ressemble! Et ce qu’en pense les autres? Les autres, je les emmerde!

On me parle de pressions. On me fait croire que c’est la société qui nous pousse à être malheureux lorsqu’on ne peut pas avoir d’enfants. C’est des conneries! Y’a pas de pressions. Juste un vide! Un vide de ne pas être parent.

L’autre jour on m’a dit qu’une mère qui portait l’enfant de son enfant, ça avait un nom: l’inceste. L’inceste… ça me fait franchement rigoler... Et même si c’était de l’inceste, qu’est-ce que ça peut foutre? Moi, je dis «au cul la morale»: nous étions trois adultes consentants et je déclare l’inceste entre adultes consentant comme libre de moralité. Pas de pression! On savait très bien ce qu’on faisait!

Je dépose le cadavre du téléphone sur la table de la cuisine. Par la fenêtre, j’entrevois une voiture qui se parque devant chez nous. C’est ma belle mère qui arrive… pour la troisième fois depuis hier soir. On n’arrive pas à lui dire qu’on aimerait bien être un peu tranquille. Mais bon… c’est son enfant aussi, quelque part. On ne peut pas l’empêcher de le voir.

Pas de pressions, on savait ce qu’on faisait…

-- Rebecca --

Je tire le frein à main, engage la première et coupe le moteur. Je me penche péniblement sur le siège passager pour prendre mon sac. Je ne peux m’empêcher de grimacer. Ces douleurs de dos deviennent insupportables. Cette grossesse n’y est pas pour rien! Peut être bien que mon médecin avait raison. Je l’entends encore: «Porter un enfant à votre âge ne va pas être sans conséquences!» Je serre les dents et attrape mon sac. Je m’extirpe lentement de la voiture. J’ai vraiment hâte de voir mon fils. Enfin… mon PETIT fils!! C’est plus fort que moi. Je n’arrive pas à considérer Thomas comme mon petit fils. Et pourtant…

Tout semblait si simple, au début. L’utérus mal formé de ma fille rendait toute grossesse impossible. Et c’est là que «l’idée» est venue: ma fille et son gendre pourraient fournir les gamètes nécessaires à la formation d’un embryon qui serait ensuite implanté… chez moi. Dans mon ventre! J’assurerais ainsi la gestation de leur enfant. Le tout à moindre frais.

Et ce fut le début de l’enfer. Les injections hormonales, les nausées, les douleurs abdominales. Et mon dos qui a commencé à me faire mal, même la nuit. Puis la naissance du petit. Par césarienne, parce que les os de mon bassin n’étaient plus assez souples pour permettre le passage de la tête du nouveau né.

La première semaine après l’accouchement, j’ai fait tout mon possible pour cacher ma réticence à laisser ma fille prendre le bébé dans ses bras. J’avais l’intime conviction qu’elle me volait la chaire de ma chaire, mon enfant. Neuf mois de gestation, un corps qui s’est construit dans mon ventre. Une symbiose parfaite. Et maintenant, le vide…

Mon enfant n’est plus à moi, mais à une autre. A ma fille. Mais aujourd’hui, tout va changer. Aujourd’hui, je vais leur dire. Je n’ai pas réussi ce matin. Alors je suis revenue. Je suis déterminée. Il faut qu’ils comprennent. C’est mon enfant. Ou du moins notre enfant. A nous trois! La garde partagée n’est pas négociable.

Je donne