Létude de
lAcadémie nationale des
sciences des États-Unis (NAS)
critique sévèrement la
division du ministère de lAgriculture
responsable du suivi des nouvelles cultures
destinées à lalimentation:
les normes quelle emploie pour
approuver ou rejeter de nouveaux types
de plantes, quelles soient génétiquement
modifiées ou non, sont inappropriées.
Et cette division, en plus de manquer
de transparence, na
pas la compétence scientifique
nécessaire.
Cette division du ministère
de lAgriculture, appelée
le Service dinspection de la santé
des animaux et des plantes, reçoit
chaque année environ 1600 demandes,
provenant souvent de firmes de biotechnologie,
pour lapprobation de nouveaux
types de végétaux ou danimaux.
Tout organisme génétiquement
modifié (OGM) doit passer par
ce processus... par lequel en réalité,
note
la revue Science,
il suffit souvent de prévenir
le Service quune nouvelle plante
a été produite, et quelle
satisfait aux normes de sécurité...
Le Service a 30 jours pour répliquer,
sil a des objections. La grande
majorité des 1600 demandes sont
approuvées.
Pour le NAS, le Service
doit donc de toute urgence recruter
davantage décologistes
et mettre en place un comité
scientifique pour insuffler un peu de
rigueur à ce processus.
Si ce processus dapprobation
des demandes na jamais été
modifié, cest parce que
le Service se préoccupe de la
santé humaine et animale, et
que, comme les partisans des OGM ont
toujours pris soin de le souligner,
jamais un OGM na pu être
mis en cause dans un problème
de santé, chez des animaux ou
des humains. Mais ce rapport du NAS,
dirigé par lentomologiste
Fred Gould, de lUniversité
dÉtat de Caroline du Nord,
a contourné le problème,
en introduisant un nouveau type de risque:
le risque environnemental.
Par exemple, le risque
quun maïs modifié
génétiquement ne "contamine"
les champs "normaux" voisins.
Cest justement ce
qui avait été annoncé
avec fracas, le 29 novembre dernier
(lire Les
OGM traversent les frontières):
deux scientifiques de lUniversité
de Californie à Berkeley avaient
publié une étude dans
Nature où ils concluaient
que la maïs mexicain, cultivé
tel quel depuis 7000 ans, était
de plus en plus "contaminé"
par du maïs transgénique
américain. A ce rythme, avançaient
Ignacio Chapela et son étudiant
David Quist, le maïs original nexisterait
plus dici quelques décennies.
Or, comme quoi la tâche
de suivre à la trace différentes
espèces dune même
plante est tout sauf facile, on vient
dapprendre que la même revue
Nature soupèse actuellement
la nécessité de publier
quatre textes qui critiquent sévèrement
les conclusions de Chapela et Quist.
Des courriels circulent abondamment
dans les milieux spécialisés,
accusant ces deux scientifiques de conflits
dintérêt. Un éditorial
dans lédition de février
de la très spécialisée
Transgenic Research affirme que
les deux Californiens nont pas
présenté de "preuves
crédibles" pour justifier
leurs conclusions.
Dès lors, une image
se dessine, familière: le débat
est en train de prendre un tournant
politique, et il nest pas
difficile de deviner que dans les prochaines
semaines, la politique et la polémique
vont prendre le dessus sur la rigueur
scientifique. Déjà, évalue
Science, 144 groupes de pression
pro-écologistes ont pris la défense
de Chapela et Quist et ont affirmé,
dans une déclaration conjointe,
que cest lindustrie biotechnologique
qui tente de les réduire au silence.
Leur déclaration a été
publiée le 19 février.
Le 21 février, les journaux mexicains
rapportaient pourtant une conférence
de presse tenue à Mexico, au
cours de laquelle deux équipes
de chercheurs associées au gouvernement,
confirmaient les conclusions de léquipe
Chapela-Quist. Par la suite, par voie
de courrier électronique, Elena
Alvarez-Buylla Roces, biologiste à
lUniversité autonome de
Mexico, qui était apparue aux
côtés de Chapela lors de
cette conférence de presse, affirmait
à la revue Science que
ces chercheurs mexicains navaient
"toujours pas de réponses
définitives corroborant ou non
les résultats de Chapela".
La question reste posée:
du maïs transgénique a-t-il
vraiment envahi le Mexique? Ce qui paraissait
clair le 29 novembre ne lest plus
du tout, parce que la méthode
employée par Quist et Chapela
pour étudier le code génétique
de leurs échantillons de maïs
(provenant de deux endroits près
dOaxaca, en octobre et novembre
2000), méthode appelée
PCR (en anglais, polymerase chain reaction),
est sujette à caution: elle est
tellement sensible, selon la biologiste
moléculaire Marilyn Warburton,
du Centre international damélioration
du maïs et du blé (basé
à Mexico), que des traces infimes
de contaminants (par exemple, quelques
gènes de blé provenant
dune expérience précédente
dans le même laboratoire) peuvent
fausser les résultats.
Cest sur la base
de cette incertitude quau moins
quatre groupes de chercheurs Université
de Washington, Université de
Georgie, et deux équipes de lUniversit
de Californie à Berkeley- ont
envoyé ces quatre articles à
Nature en décembre, critiquant
la méthode employée par
Chapela et Quist. Suivant la méthode
habituelle de la revue Nature,
trois "jurés" -des
experts appartenant au même domaine-
ont évalué la validité
de ces articles. Depuis, la publication
dau moins un dentre eux,
peut-être plus, a été
recommandée, selon les informations
obtenues par la revue américaine
Science.
Tout ce débat,
quelle que soit sa tournure, confirme
à tout le moins lurgence
des conclusions de lAcadémie
nationale des sciences: il nexiste
à lheure actuelle aucune
instance, nationale ou internationale,
possédant la compétence
ou les ressources- pour suivre
à la trace les organismes génétiquement
modifiés, surtout après
leur sortie des laboratoires. Et encore
moins après quils aient
été commercialisés:
qui peut dire si une plante transgénique,
qui a été jugée
sécuritaire pour lenvironnement
après deux années détudes,
lest encore après avoir
été distribuée
à grande échelle dans
des champs éparpillés
aux quatre coins des Etats-Unis et du
Canada? Ce type de suivi na encore
jamais été fait.