Cette chèvre est en
effet loin dêtre une nouveauté :
il y a près de deux ans que les médias
ont commencé à parler delle,
et que la firme de biotechnologie Nexia,
de Vaudreuil, en banlieue de Montréal,
la traite aux petits oignons, analyse son
lait sous toutes les coutures et lui
prépare une descendance. Mais pour
la première fois, avec la parution
jeudi dernier dun article dans la
dernière édition de la revue
Science, on a droit à des
données scientifiques solides.
Pourquoi vouloir produire
de la toile d'araignée? Parce que
même les fibres les plus coûteuses
fabriquées par le génie humain
n'arrivent pas à la hauteur de cette
substance-miracle. La toile d'araignée
est plus solide que l'acier, et s'étire
mieux que le nylon. Avec des fils plus minces
quun cheveu!
On comprend dès lors
que nombre dentrepreneurs rêvent
den produire. Et den produire
beaucoup.
Mais que vient faire une chèvre
là-dedans? Eh bien, il y a déjà
un gros siècle que ces mêmes
entrepreneurs cherchent à élever
des araignées pour produire de ce
"tissu" en quantité suffisante pour
qu'il soit commercialisable. Sans grand
succès: les araignées naiment
pas vivre à proximité lune
de lautre, et quand on les y force,
elles finissent par sentre-dévorer.
Plus récemment, les chercheurs se
sont donc tournés vers le génie
génétique: en transférant
le gène approprié de l'araignée
dans un animal, ne pourrait-on pas obtenir
cette fibre magique -par exemple, par lintermédiaire
du lait de cet animal? Sachant que la clef
de cette toile, ce sont deux protéines
produites par le gène en question,
ny aurait-il pas moyen de se débarrasser
de laraignée ?
Il a fallu 10 ans pour y arriver,
et avant de penser à la chèvre
et à son lait, d'autres équipes
ont tenté de transférer des
gènes d'araignée dans diverses
bactéries, dont celle connue sous
le nom de levure de bière; et plus
tard, dans des hamsters. C'est finalement
avec des hamsters, mais surtout avec la
chèvre, qu'est arrivée à
ses fins, il y a près de deux ans,
la firme québécoise Nexia
Technologies: les chèvres nées
avec ce gène produisent, dans leur
lait, une protéine
imitant celle qui, chez les araignées,
est à lorigine de leurs toiles.
Ou pour être plus précis,
les cellules de cette chèvre possédant
une version modifiée du gène
en question produisent une version modifiée
de lune des protéines en question,
lorsquon
stimule ces cellules de façon appropriée
au fond dune éprouvette.
Rien nest simple, au royaume de la
biotechnologie...
Le résultat final n'est
donc plus exactement de la toile d'araignée,
mais ça en a toutes les propriétés,
décrivent les deux principaux signataires,
Anthoula Lazaris et Costas N. Karatzas.
Lespoir à partir
de là, cest quun jour,
cette protéine, extraite et synthétisée
en quantité industrielle, puisse
donner le matériau souhaité...
en quantité industrielle.
"Nul na jamais été
capable de fabriquer des fibres de cette
façon auparavant ", a déclaré
le Dr Jeffrey D. Turner, président
de Nexia.
Reste un menu problème:
comment diable arriver à produire
de cette fibre en grande quantité,
sans qu'il en coûte une fortune. Car
les expériences décrites dans
Science ont permis de produire, chaque
fois... une demi-once. Au moment décrire
ces lignes, la deuxième génération
de cette "lignée", née
en 2000, est sur le point davoir à
son tour des bébés, ce qui
commence à fournir une "garnison"
de chèvres plus importante. Ce qui
devrait donner une meilleure idée
de ce qui pourra être produit. Et
à quel coût. Mais
pour en savoir plus, il faudra attendre
encore quelques années.
Peut-être moins réjouissant
est le fait que parmi les entrepreneurs
intéressés, figure au premier
plan
l'armée. Un tissu ultra-résistant,
mais souple, cela peut en effet servir à
fabriquer des sutures pour les médecins
et même des ponts!- mais aussi
d'excellents gilets pare-balles pour les
soldats. Ce n'est dailleurs pas un
hasard si c'est depuis les années
60 que l'armée américaine
travaille sur les araignées et leurs
fameuses toiles. Larmée aussi
sest donc rapidement intéressée
aux biotechnologies en général
et aux manipulations génétiques
en particulier. L'armée américaine
et le ministère canadien de la Défense
ont contribué financièrement
à ce projet de "chèvre-araignée",
et parmi les neuf signataires de l'article
de Science, six sont de la compagnie
Nexia, et trois du Commandement chimique
et biologique de l'armée américaine
à Natick, Massachusetts.