The Da Vinci Code ,
qui figure sur la liste des best-sellers
depuis le printemps dernier, s'ouvre sur
lassassinat dun conservateur
du musée du Louvre et la découverte,
près de son cadavre, d'un mystérieux
code semblant révéler un secret
étonnant sur cette Marie, originaire
du village de Magdala.
Mais en fait, pour les historiens
et les chercheurs en sciences religieuses,
ce "secret étonnant" n'en est pas
un. L'hypothèse d'une relation intime
entre Jésus et Marie-Madeleine remonte
à plusieurs siècles et la
liste de livres publiés, uniquement
ces 20 dernières années, est
considérable (http://www.magdalene.org/booklist.htm).
Il existe même deux sites web spécialement
consacrés à cette mystérieuse
femme, www.magdalene.org
(depuis 1997), et en français, www.marie-madeleine.com.
Des chercheurs ont fait de
Marie-Madeleine le centre de leurs travaux,
et les études féministes s'y
intéressent tout particulièrement.
L'historienne américaine Karen King
voit dans l'occultation de ce personnage
le résultat de 17 siècles
de machisme: le rôle de Marie-Madeleine
aurait été balayé peu
après l'an 300, parce qu'elle représentait
aux yeux des autorités chrétiennes
d'alors une "rivale" trop dangereuse pour
l'image de Pierre, celui que nous considérons
comme le disciple préféré
de Jésus, et son successeur donc,
le premier pape.
Les Évangiles oubliés
L'hypothèse faisant
de Marie-Madeleine l'épouse de Jésus,
ou du moins sa disciple la plus importante
plus importante que Pierre se
perd dans la nuit des temps. Mais elle a
gagné de nouveaux adeptes depuis
la découverte, en 1945, près
de Nag Hammadi, en Égypte, de 46
documents remontant au IIe siècle.
Parmi eux, des fragments de récits
dont l'existence n'était connue jusque-là
que d'une poignée d'universitaires
et d'experts bibliques: Évangile
de Pierre, Évangile de Philippe
et Évangile de Marie.
Que sont ces documents? Tout
simplement d'autres versions de la vie de
Jésus qui circulaient à l'époque,
au même titre que les Évangiles
de Marc, Jean, Luc et Mathieu que nous lisons
aujourd'hui. Sans aller jusqu'à raconter
une autre histoire de Jésus, ils
en font par endroits une interprétation
très différente et dans
les Évangiles de Marie et de Philippe,
l'influence de Marie sur les autres disciples
est bien plus importante que ce que "l'Histoire"
officielle en a retenu
Qui était exactement
Marie-Madeleine ? La croyance populaire
en fait une pécheresse repentie,
une prostituée. Mais même le
Vatican a reconnu en 1969 que cette image
est fausse: elle date de l'an 591, dans
un sermon du pape Grégoire le Grand.
Celui-ci aurait alors erronément
combiné plusieurs figures féminines
des Évangiles, pour nen former
quune seule : celle de Marie-Madeleine
qui a survécu jusqu'à nous.
En réalité,
avec l'autre Marie, mère de Jésus,
Marie-Madeleine est la femme la plus présente
du Nouveau Testament. Elle est le premier
témoin de la résurrection
de Jésus ce qui, déjà,
lui donne une importance considérable.
Il y a consensus parmi les théologiens
pour la décrire comme lune
des disciples du Christ et quelques historiens
de l'art ont prétendu que c'est elle
qu'on peut voir à ses côtés,
dans le tableau de Leonard De Vinci, La
Dernière Cène. Enfin,
diverses légendes lui donnent une
vie après le départ de Jésus,
soit à Ephèse, soit dans le
Sud de la France, où elle serait
demeurée dans une grotte, plus de
30 ans (il existe un culte à son
sujet dans la petite ville de Rennes-le-Château).
Plusieurs chercheurs ont donc,
à partir de là, exploré
l'hypothèse que Jésus ait
pu être fiancé à ladolescence,
comme la coutume l'exigeait chez les Juifs
de l'époque, et ensuite marié
lorsquil fut en âge de procréer.
Et pourquoi pas, qu'il ait eu des enfants
Lidée se heurte
par contre à l'image soigneusement
entretenue d'un Jésus célibataire
endurci dont la vie fut uniquement consacrée
à répandre la parole de Dieu...
Pour bien comprendre ces interprétations
divergentes, il faut se replonger dans le
contexte des trois premiers siècles
du christianisme. Ce nous appelons le Nouveau
Testament, qui regroupe notamment les quatre
Évangiles "officiels", n'existait
pas encore, pas plus que la hiérarchie
rigoureuse qui, du pape jusqu'au curé
de village, aurait garanti une diffusion
uniforme de l'information. Au contraire,
a résumé le théologien
américain Bart Ehrman (Lost Christianities)
au fur et à mesure que les générations
s'écoulaient depuis la mort de Jésus,
différentes versions de sa vie et
de son enseignement apparaissaient ici et
là, appuyées ou non sur ces
Évangiles aujourd'hui oubliés
(il y en a probablement eu beaucoup d'autres
dont on n'a pas encore retrouvé de
traces). Certaines de ces versions ont même
donné naissance à des versions
"alternatives" du christianisme: ébionites,
marcionites, gnostiques
C'est le Concile de Nicée,
en 325, qui a mis de l'ordre dans tout cela
et décrété que, désormais,
les Évangiles officiels seraient
ceux de Marc, Luc, Mathieu et Jean. Le Nouveau
Testament tel que nous le connaissons est
donc l'aboutissement de débats peut-être
houleux qui ont eu lieu à ce
moment et qui duraient sans doute
depuis un bon moment. Ce qui, si l'on accepte
le point de vue féministe, pourrait
expliquer le sort qui a ensuite été
réservé à Marie-Madeleine:
comme le rappelle l'historienne Karen King,
"l'Histoire, comme nous le savons, est racontée
par les vainqueurs. Dans le cas des premiers
Chrétiens, cela signifie que (depuis
cette époque) plusieurs voix présentes
dans ces débats ont été
réduites au silence, par répression
ou négligence."