Au lendemain du très attendu
Sommet sur la société de l'information,
qui s'est conclu à Genève le 12
décembre, les opinions divergent. Les
uns le résument comme trois belles
journées de palabres mais qui n'ont abouti
à aucune décision. Les autres
en parlent comme du premier pas vers une société
plus égalitaire, où le fossé
entre inforiches et infopauvres sera progressivement
comblé.
Onze mille délégués
des gouvernements, des groupes de pression dont
une bonne partie venus des pays du Sud
des organismes de coopération internationale
et de l'industrie, se
sont réunis pendant ces trois jours à
Genève, le plus gros sommet qu'ait
jamais accueilli cette ville. Ils se sont donnés
rendez-vous à Tunis, en 2005. Le tout
est sous l'égide de l'Union internationale
des télécommunications -l'organisation
des Nations Unies (ONU) qui organisait ce Sommet
de Genève.
La "constitution", ou plus exactement
un plan d'actions en 29 points, fixe notamment
pour objectif que d'ici
2015, la moitié de la population du globe
ait accès à Internet... ou au
téléphone.
Car pour ceux qui ne jurent que
par Internet comme agent de révolution
sociale, c'est en effet, encore et toujours,
un choc que de l'apprendre: plus de la moitié
de la population mondiale n'a même pas
accès au téléphone! Avant
qu'Internet ne fasse de notre monde un lieu
plus égalitaire, il y a donc du chemin
à faire...
"Au contraire de la Révolution
française, la révolution Internet
a beaucoup de liberté, un peu de fraternité
et aucune égalité", a résumé
Shashi Tharoor, sous-secrétaire de l'ONU
à l'information et aux communications.
Dans les pays les plus pauvres,
seulement 1% de la population a accès
à Internet. Les 400 000 habitants du
Luxembourg ont à eux seuls plus de bande
passante que les 760 millions de l'Afrique!
Qui plus est, questionne le magazine
australien The Age, il y a des questions
pour le moins importantes qui ont été
diplomatiquement écartées à
ce Sommet: qui
va payer pour rendre ce monde plus égalitaire?
Qui va payer pour arriver à ce mythique
50% de la population mondiale branchée?
Qui va combler le fossé entre les inforiches
et les infopauvres? Et qui va décider
des priorités ce qui revient presque,
suprême hérésie, à
demander qui va diriger Internet.
La seule chose sur laquelle autant
les représentants des gouvernerments
que du secteur privé s'entendaient, selon
l'International Herald Tribune, c'est
une méfiance à l'égard
des États-Unis. "Même si c'est
faux, il y a cette perception à l'effet
que le gouvernement américain dirige
l'Internet", déclare en entrevue Eli
Noam, directeur de l'Institut de l'Université
Columbia (New York) pour la télé-information.
Les documents signés à
Genève (liberté de presse et d'expression
dans le cyberespace, par exemple), ne lient
les mains d'aucun gouvernement, d'où
l'extrême scepticisme de plusieurs (surtout
quand on constate qu'un pays comme la Chine
figure parmi les signataires). On a même
repoussé à Tunis la possibilité
de créer un fonds pour aider les pays
du Sud à profiter de ces nouvelles technologies.
En revanche, c'était
tout de même la première fois qu'autant
de gens d'autant de pays et surtout d'intérêts
aussi différents promoteurs
d'une meilleure éducation et entrepreneurs
à la recherche de profits se réunissaient.
Plusieurs groupes de coopérants et même
d'activistes ont qualifié d'étonnamment
fructueuses les discussions avec autre
hérésie, pour certains des
gens d'affaires. Enfin, ce n'est pas non plus
un hasard si 40
chefs d'États des pays du Sud se sont
montrés à ce Sommet, tandis
que les pays du Nord étaient souvent
représentés par des délégations
de moindre importance.
Les documents qu'ils ont appuyés
reflètent la prise de conscience, par
ces dirigeants politiques et économiques,
de l'impact social d'Internet et des technologies
de la communication. Pour ceux qui naviguent
sur Internet depuis une décennie, c'est
une prise de conscience bien tardive; mais pour
ces 40 dirigeants de pays du Sud, c'est au contraire
un grand pas en avant, la consécration
que la croissance d'Internet n'est plus uniquement
entre les mains des maniaques de technologies
et des investisseurs avides de profits.
Combien de temps cela mettra-t-il
à se traduire en gestes concrets toutefois,
les dieux d'Internet eux-mêmes l'ignorent.