Les chiffres ne sont pas nouveaux. Chaque
année, on les ressort à l'occasion de la Journée
mondiale sur le sida le 1er décembre.
Et on les oublie d'autant plus facilement que le sida est
devenu beaucoup moins important aux
yeux des sociétés riches: c'est en Afrique
qu'il frappe le plus cruellement. Sur les 40 millions de
personnes infectées, 30
millions sont en Afrique.
Pourtant, le dernier rapport annuel de l'Organisation
des Nations Unies sur le sida (Onusida) insiste sur une
réalité en émergence depuis quelques
années: outre que l'épidémie de sida
se diversifie (en Europe de l'Est, elle se répand
par le partage des seringues, en Asie, par les prostituées),
un peu partout, ce sont d'abord les femmes qui sont les
victimes. A l'échelle de la planète, les femmes
forment désormais la moitié des gens infectés
par le VIH. En Afrique, une
jeune femme court quatre fois plus de risques d'être
infectée par le VIH qu'un jeune homme.
Et pendant ce temps, la Chine et l'Inde, avec
plus de deux milliards d'habitants, sont
de véritables bombes statistiques à retardement.
Au-delà de la recherche de médicaments,
c'est
de l'éducation qui manque cruellement. Et qui
dit manque d'éducation dit manque d'éducation
pour les femmes puisque, dans la majorité
des pays du monde, ce sont elles qui:
- sont sous-scolarisées, voire analphabètes
- moins nombreuses à décrocher un emploi
et, quand elles en ont un, plus nombreuses à
le perdre
- plus nombreuses à s'occuper seule d'un enfant
ou de plusieurs enfants
- dans plusieurs pays, inaptes à devenir propriétaires
ou à hériter, ce qui les laisse sans ressources
aucune en cas de décès ou de départ
du mari
Ajoutons à cela que dans les pays occidentaux,
la pauvreté est encore plus forte chez les femmes
de minorités visibles. Même aux Etats-Unis,
en 2003:
- les femmes noires et hispaniques, qui ne forment que
25% de la population féminine, représentaient...
83% des porteuses de sida!
- Selon le Centre
de contrôle des maladies (CDC), les femmes
noires sont 25 fois plus à risque que les femmes
blanches d'être diagnostiquées sidéennes!
- Résultat, le sida est la principale cause de
décès chez les Afro-Américaines
de 25 à 34 ans.
Pas étonnant alors que même le
CDC mette l'accent sur une stratégie "biomédicale
et comportementale" autrement dit, des fonds doivent
être dépensés non pas dans l'amélioration
des médicaments, mais aussi dans l'information et
l'éducation, pour surmonter les barrières
sociales qui sont, elles aussi, un agent de propagation
du virus. "L'égalité
est au moins aussi nécessaire que la médecine",
résumait dimanche l'éditorialiste du San
Francisco Chronicle.
La stratégie de la Maison-Blanche,
qui consiste à ne priviléger que l'abstinence,
n'aide en rien à combler ce gouffre entre les classes
sociales... Le
USA Today rappelle une anecdote survenue lors
du débat entre les candidats à la vice-présidence,
le mois dernier: lorsque l'animatrice interrogea les deux
candidats sur la prévalence croissante du VIH chez
les Afro-Américaines, tous deux furent également
embarrassés. Dick Cheney admit n'avoir vu aucune
statistique à ce sujet.
Mais si les barrières sociales sont
difficiles à surmonter aux Etats-Unis, imaginons
l'Afrique ou l'Inde. Impossible pour une femme d'exiger
un condom (quand elle sait ce qu'est un condom!), ignorance
de la sexualité, sujétion totale à
l'époux... Une enquête auprès des jeunes
mariées de l'Etat d'Uttar Pradesh, en Inde, a révélé
que lorsqu'elles s'étaient mariées, 83% ignoraient
comment on devient enceinte...