Les uns affirment que la catastrophe de Tchernobyl, il y a 20 ans, a fait 4000 morts. Les autres, qu'elle en aura fait 300 000. Pour ces derniers, "le mensonge nucléaire perdure". Pour les autres, l'estimation de 300 000 frise le délire. Le consensus sur les dangers du nucléaire n'est pas pour demain...

Le total de 4000 mots, publié en septembre dernier, est celui de l'Agence internationale de l'énergie atomique (sous l'égide des Nations Unies). L'autre chiffre (300 000) provient d'un rapport publié la semaine dernière par Greenpeace, en prévision du 20e anniversaire de la catastrophe de cette centrale nucléaire (et de l'attention médiatique qui vient avec).

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Signé par 52 scientifiques des trois pays les plus touchés (Bélarus, Ukraine et Russie). il conclut que 200 000 décès (surtout des cancers) pourraient être attribuables à Tchernobyl depuis 15 ans et que 100 000 autres seraient à venir.

Les 4000 décès "officiels" sont ceux survenus parmi les "liquidateurs" (les centaines de milliers d'ouvriers chargés du nettoyage) et les personnes relocalisées. Greenpeace toutefois, rappelle qu'un nombre indéterminé de gens, à des milliers de kilomètres à la ronde, ont reçu plus que leur dose de radiations, provoquant potentiellement une hausse des cas de cancers, des dommages aux systèmes immunitaires et endocriniens, un vieillissement accéléré, une augmentation des malformations chez les foetus et les enfants.

L'Organisation des Nations Unies elle-même admet que le bilan final dépassera les 4000. "Le nombre exact de victimes ne sera peut-être jamais connu, mais 3 millions d'enfants ont besoin d'être soignés", a déclaré le secrétaire général, Kofi Annan. "On ne saura qu'en 2016, au plus tôt, le nombre total de personnes susceptibles de développer des pathologies sévères."

Pourquoi 2016? Parce que le césium 137, principal agent radioactif de Tchernobyl, a une demi-vie de 30 ans.

Mais de 4000 à 300 000, il y a une marge. Si on admet que 4000 est un plancher, jusqu'où peut-on grimper ?

Un cancer-Tchernobyl ou un cancer normal?

Le problème est qu'il est très difficile de savoir si la hausse des cancers dans une région est attribuable aux radiations ou à d'autres facteurs propres à plusieurs pays de l'ex-URSS (dégradation du niveau de vie, des conditions d'hygiène, etc.). Le physicien Richard L. Garwin a déjà estimé à 20 000 le nombre de décès additionnels dus au cancer. Il signale par ailleurs un rapport de 1993 du Comité scientifique des Nations Unies sur les effets des radiations atomiques (UNSCEAR), qui estimait à 600 000 hommes / sievert la "dose" reçue en 1986.

Or, une telle dose, mise en parallèle avec les statistiques médicales sur le taux de survie des patients, se traduit théoriquement par 34 200 morts, calcule Richard Garwin.

Un cran plus haut, deux scientifiques britanniques parlent cette semaine de 66 000 morts, dans un rapport déposé au congrès de la Société royale des chirugiens, à Londres. The Other Report on Chernobyl affirme que la moitié des retombées radioactives furent au-delà du Bélarus, de l'Ukraine et de la Russie, ce qui explique ce bilan à la hausse: ce sont, écrivent-ils, 66 000 personnes qui mourront du cancer à cause de ces retombées, en plus de ceux qui seraient morts du cancer "en temps normal".

Rien qu'en Grande-Bretagne, révèle ce rapport, des restrictions sont encore imposées, 20 ans plus tard, à 374 fermes couvrant 750 kilomètres carrés.

En France, aucune étude du genre n'a été réalisée pour mesurer l'impact éventuel qu'a eu Tchernobyl sur la santé, dénoncent les groupes écologistes. Mais ces derniers jours, avec l'approche du 20e anniversaire de la catastrophe, on s'est posé beaucoup de questions sur l'incidence des cancers de la thyroïde (la thyroïde est le "marqueur" par excellence des radiations): sont-ils plus élevés ou au même niveau que d'habitude?

Justement, l'étude britannique pointe un taux de cancer de la thyroïde chez les enfants qui aurait été multiplié par 12 en Cumbria, la région de l'île britannique qui a reçu les plus grosses retombées radioactives.

Et si Tchernobyl s'effondrait à nouveau?

" Le sarcophage qui recouvre le réacteur no 4 accidenté est en piteux état. La toiture et le béton de l’enveloppe s’effritent à chaque jour. La neige et la pluie qui entrent par les fissures du toit provoquent des réactions nucléaires difficiles à évaluer ", prévenait l'an dernier l’atomiste Valentin Koupny, ancien directeur adjoint de la centrale nucléaire (voir notre texte).

Pendant ce temps, le second sarcophage, qui devrait en théorie être assemblé à partir de 2008, ne progresse qu'au compte-goutte. Le premier sacorphage, déplore l’académicien Dmitri Grodzinski qui supervise l’entretien de la centrale de Tchernobyl depuis 16 ans, " a été construit à la va-vite ".

C'est dès 1992 que l’Ukraine, soutenue par les pays du G-7 et de la Communauté européenne, avait adopté un concept de consolidation de la centrale, afin d’en faire un endroit sécuritaire.

Ce n'est qu'en décembre 1995 qu'est adopté un plan d'action. En 1997, le coût à court terme est évalué à 768 millions $ US, et à cause des retards, la facture a aujourd'hui dépassé le milliard. Vingt-huit pays sont invités à contribuer au Chernobyl Shelter Fund administré par la Banque européenne de reconstruction et de développement.

En avril 1998, un consortium formé des compagnies américaines Bechtel et Battelle, et d’Électricité de France établit un agenda des travaux en deux phases, visant à sécuriser le site au plus tard en 2008, en attendant l'hypothétique nouveau sarcophage.

Celui-ci sera le plus imposant du monde : 256 mètres de large, 108 mètres de haut et 150 mètres de profondeur. Le tout devrait en théorie isoler le réacteur pour un siècle.

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