Or donc. Percée phénoménale, et toute cette sorte de choses. Le fait d’avoir transformé des cellules de peau humaine en cellules souches suscite avec raison l’enthousiasme des milieux scientifiques et politiques. Mais enfouis au coeur des articles subsiste une facette méconnue de ce dossier : on ignore encore si ça va vraiment marcher.

Un rappel. Ce qu’ont réussi les scientifiques japonais et américains, tel qu’annoncé cette semaine, c’est de « reprogrammer », en éprouvette (ou dans une boîte de Pétri, pour être plus précis), des cellules de peau humaine pour qu’elles se « croient » devenues des cellules souches, similaires aux cellules d’un embryon de quelques jours. C’est un pas de géant, d’autant plus qu’on ne l’attendait pas avant des années (voir l’autre article, Comment ça marche).

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Premier bémol

Sauf qu’on n’a pas encore vu un coeur ou un poumon déborder sur les côtés de ces boîtes de Pétri : autrement dit, on est encore loin de pouvoir « ordonner » à ces cellules souches de se transformer, qui en coeur, qui en neurone, qui en poumon.

Deuxième bémol

Le deuxième « sauf que » est plus politique. Personne ne peut affirmer pour l’instant que ce nouveau type de cellules souches, reprogrammées à partir de cellules adultes, sera plus efficace, ni même aussi efficace, que les « vraies » cellules souches —celles qui proviennent d’embryons.

C’est manifestement important, parce qu’une rapide revue de presse révèle que, depuis que cette annonce des scientifiques japonais et américains a été faite mardi soir, 20 novembre, le débat sur la légitimité d’utiliser des cellules d’embryons a dominé une partie des articles journalistiques.

D’un côté, ceux qui, le Président Bush en tête, proclamaient depuis le début du siècle que la recherche sur les cellules souches ne devrait pas utiliser d’embryons, et que de toutes façons, les cellules souches prélevées sur des adultes (dans la moelle épinière, entre autres) font tout aussi bien la besogne. De l’autre, ceux qui proclament qu’au contraire, ce sont les cellules prélevées sur des embryons qui ont démontré un réel potentiel.

Or, en annonçant qu’on peut utiliser des cellules adultes et les transformer en cellules souches, ces scientifiques ont rapproché les deux parties, déclare dans le New York Times Arthur Caplan, directeur du Centre de bioéthique à l’Université de Pennsylvanie (interprétation qu’on trouve aussi dans un communiqué émis par la Maison-Blanche). Avec leur « cellule souche éthique », ces scientifiques ont même « mis fin au débat », titre le Times d’Afrique du Sud. C’est aller un peu vite en besogne : pour l’instant, souligne le journaliste du Washington Post, on ne sait pas grand-chose sur l’efficacité de ces « nouvelles » cellules souches. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on peut les « créer ».

Troisième bémol

Une des raisons qui obligent à être prudent quant à leur efficacité, c’est qu’un des quatre gènes utilisés pour « reprogrammer » la cellule (voir le texte précédent, Comment ça marche) peut causer... des tumeurs. On ignore dans quelles circonstances. Effet secondaire peu recommandable.

Par ailleurs, ce sont des rétrovirus qu’on emploie comme « camion de livraison » pour pénétrer la cellule, or, au moins un de ces rétrovirus a été associé au développement de cancer. C’était en 2002, dans le cadre d’une expérience française tristement célèbre, qui a entraîné la mort d’un enfant. Le San Jose Mercury News évoque la possibilité que d’autres agents que des rétrovirus puissent être utilisés pour envoyer les ordres nécessaires au coeur de la cellule, mais les chercheurs n’en sont pas encore là.

Bref, le pas en avant est énorme, mais il reste beaucoup d’autres énormes pas en avant...

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