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Vous vous souvenez de la bactérie à l’arsenic? Cette semaine, ce n’est pas une étude qui la réfute —elle qui aurait pu être une découverte biologique révolutionnaire— mais deux études qui la descendent en flammes.

La microbiologiste canadienne Rosie Redfield, celle qui avait tiré la première salve sur son blogue en décembre 2010, est la principale signataire d’une des deux études, publiées en ligne par la revue Science dimanche soir, le 8 juillet. Elle avait annoncé il y a quelques mois que son article avait été accepté pour publication, mais ne pouvait en dire plus, en raison des règles d’embargo imposées par Science. L’autre équipe, qui n’avait jamais fait parler de ses travaux sur la chose avant aujourd’hui, arrive elle aussi à la conclusion que rien ne permet d’affirmer que cette bactérie, GFAJ-1, fonctionne sur des principes biologiques différents —l’arsenic plutôt que le phosphore— de l’ensemble des autres formes de vie qui peuplent la Terre.

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Interrogée par le journaliste du USA Today , l’auteure de l’étude visée, Felisa Wolfe-Simon, a déclaré que «rien dans les données de ces nouvelles études ne contredit nos données publiées». Ce n’est manifestement ni l’opinion de Rosemary Redfield, ni celle de la revue Science qui, dans son communiqué, écrit que «la nouvelle recherche démontre que GFAJ-1 ne brise pas les règles longuement établies de la vie, contrairement à la façon dont Wolfe-Simon et al. avaient interprété les données de leur groupe».

Tout au plus la deuxième équipe, de l’Université de Zurich, en Suisse, montre-t-elle un peu plus d’enthousiasme: «nous confirmons que GFAJ-1 est hautement résistante à l’arsenic. Nous avons pu démontrer que GFAJ-1 est capable de croître avec des concentrations très faibles en phosphore». C’est passionnant pour la microbiologie, mais ne se compare pas avec l’excitation qui était derrière le communiqué de presse de la NASA à l’époque (la NASA avait financé cette recherche).

La science 2.0

Ceci dit, si jamais cette percée biologique qui n’a pas eu lieu devait un jour sombrer dans l’oubli, on risque en revanche de se souvenir de la bactérie à l’arsenic pour la façon dont elle a ouvert un nouveau chapitre de la communication scientifique, à l’heure du Web 2.0.

Le 2 décembre 2010, la prestigieuse revue Science publiait une recherche décrivant la découverte, en Californie, d’une bactérie «qui peut croître en utilisant de l’arsenic plutôt que du phosphore» —un phénomène qui, s’il s’était vérifié, serait allé à l’encontre du fonctionnement de la vie tel qu’on le connaît. L’équivalent de trouver un extraterrestre sur Terre.

Mais rapidement, des critiques s’élèvent. Le 4 décembre, Redfield publie sur son blogue une analyse touffue (plus de 2000 mots) et sans appel: l’article «ne présente AUCUNE preuve convaincante que l’arsenic a été incorporé dans l’ADN» de cette bactérie. D’autres chercheurs y ajoutent des critiques tout aussi négatives, tandis que Wolfe-Simon et ses collègues se cloîtrent dans le silence, prétendant qu’un tel débat doit se dérouler exclusivement dans les «revues révisées par les pairs».

Il se produit du coup un décalage qui fait éclater au grand jour les difficultés qu’éprouve la communication entre chercheurs à s’adapter aux nouvelles réalités: lorsque, six mois plus tard, une version écourtée des critiques de Redfield (et de sept autres) paraît finalement dans la page des lecteurs de Science, accompagnée d’une réplique de l’équipe Wolfe-Simon, tout cela respecte les règles de l’art... mais tous les experts et non-experts qui suivent ce dossier ont lu tout ce qu’il y avait à lire là-dessus depuis six mois.

Le travail qu’entreprennent alors Redfield et ses collègues respecte lui aussi les règles de l’art: sachant que la science progresse grâce à la publication de recherches, permettant à d’autres d’essayer de reproduire cette recherche, l’équipe de l’Université de Colombie-Britannique tente donc de reproduire les travaux de l’équipe de Wolfe-Simon. À cette différence près que Redfield a raconté sur son blogue, au fur et à mesure, sa démarche, ses difficultés et finalement le dépôt de sa recherche sur le serveur de pré-publication ArXiv.

Un modèle de science ouverte, ont souligné les observateurs depuis dimanche, au moment où on cherche justement des modèles pour sortir la science des murs payants derrière lesquels des revues comme Science la cantonnent.

Or, si Science a publié cette recherche un dimanche soir, plutôt qu’un jeudi comme c’est son habitude, c’est peut-être parce que les colonnes du Temple commencent à être ébranlées. Dimanche soir, Rosemary Redfield donnait une conférence à Ottawa, dans le cadre d’un congrès international de biologie de l’évolution, où elle devait parler... de bactérie à l’arsenic.

En temps normal, comme elle l’expliquait elle-même, un chercheur qui publie dans Science est sous embargo: interdiction de parler en public de ses résultats tant que ceux-ci ne sont pas parus. La situation, ici, confinait à l’absurde, considérant l’ouverture de Redfield sur son blogue —et la version préliminaire de sa recherche déposée publiquement sur le serveur ArXiv.

Sauf que jusqu’à dimanche soir, personne ne semblait savoir jusqu’où oserait aller Redfield dans sa conférence —et personne ne semblait savoir que Science céderait, en publiant les deux études à ce moment-là.

Cette épisode changera-t-il la façon dont est produite la science, a-t-il été demandé à la microbiologiste dimanche soir? «Si vous bloguez à propos de votre sujet, vous indiquez que c’est votre idée», a-t-elle répondu... tout en défendant le vieux modèle: «la révision par les pairs est comme la démocratie décrite par Churchill. C’est terrible, mais c’est le mieux que nous ayons.»

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