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Vous vous souvenez de la bactérie à l’arsenic? Cinq mois plus tard, les critiques virulentes paraissent finalement dans la revue Science. Pour une revue comme Science, c’est vite. Mais plus assez vite, à l’heure des blogues.

La communication scientifique est une belle illustration du gouffre qui sépare parfois les journalistes des scientifiques, et même les scientifiques des citoyens. Les scientifiques se sont longtemps satisfait de leurs façons de valider la science, mais la plupart des gens ignorent même l'existence d'un tel processus :

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- un chercheur peut bien dire ce qu’il veut, peu de non-scientifiques réalisent que ses « annonces » ont zéro valeur si elles n’ont pas été publiées; - une telle publication dans Nature ou Science a une valeur supérieure à une autre dans le Journal of Cosmology ; - et une recherche publiée sera, du coup, lue par d’autres scientifiques, décortiquée, critiquée et peut-être validée, ou peut-être pas.

Ces trois étapes, élémentaires pour tout scientifique, restent méconnues, y compris des journalistes non spécialisés. J’en rencontre souvent pour qui vulgarisation (Science et vie, Québec Science) et recherche ( Science, Nature ), c’est la même chose : « c’est de la science ».

Or, imaginez combien la chose va devenir encore plus confuse. En décembre paraissait donc dans l’édition en ligne de Science (mais pas la version papier) une recherche sur une bactérie qui bouleverse toutes les normes établies : elle est faite en partie d’arsenic. En une semaine, la recherche est descendue en flammes par des microbiologistes, notamment sur des blogues destinés à d’autres experts et via un article destiné au grand public (rédigé par un journaliste spécialisé).

Du côté des chercheurs visés, le silence, sauf pour une allusion maladroite au fait que ces critiques seraient sans valeur parce que le seul lieu de discussion valable serait une revue révisée par les pairs, comme Science.

Il est certain que les huit critiques publiées finalement par Science sont de haut calibre et respectent les règles de l’art —de même que la réplique de la chercheure principale, Felisa Wolfe-Simon. D’un autre côté, le texte de la microbiologiste Rosemary Redfield publié sur son blogue en décembre était lui aussi de haut calibre —et elle est l’une des critiques publiées par Science.

Non seulement ça, mais avec tout ce qui s’est publié depuis décembre, les scientifiques qui en ont discuté —jusque sur Twitter avec le mot-clef #arseniclife !— n’apprendront à peu près rien des critiques publiées dans Science.

Assiste-t-on à un moment-clef de l’histoire de la communication scientifique? Un premier compromis entre les médias scientifiques « trop lents » et les blogueurs « trop pressés »? Jamais auparavant en effet, n’y a-t-il eu une telle zone grise entre des discussions d’experts par blogues interposés et les discussions « traditionnelles » par revues d’experts. Avec, toutefois, un absent de taille : les découvreurs eux-mêmes.

Si on est journaliste ou simple citoyen, il faut essayer de comprendre l’angoisse que cela représente pour les puristes. Ce n’est pas l’expertise de Rosemary Redfield, de l’Université de Colombie-Britannique, qui est mise en doute. C’est le risque que, la prochaine fois, un chercheur à l’éthique douteuse fasse trébucher le processus de validation d’une information scientifique importante. Un chercheur-blogueur qui, par exemple, serait payé par l’industrie pharmaceutique...

Mais pour l’instant, il y a du positif. Si la recherche sur cette bactérie à l’arsenic est aussi incomplète qu’on le prétend, ça s’est su beaucoup plus vite. Tellement vite que les médias grand public n’ont pas eu le temps de la mettre sur orbite. Comparez cela avec les soi-disant bactéries de 1996 dans une météorite martienne, qui ont bénéficié d’une attention médiatique démesurée, pour n’être rejetées discrètement par la communauté scientifique que des années plus tard.

Par ailleurs, Wolfe-Simon et ses collègues viennent de rendre leur bactérie accessible à tous, ce qui pourrait aussi être une conséquence de la pression mise sur leurs épaules par blogues interposés. Ça aussi, ça pourrait être un moment-clef de l’histoire de la communication scientifique.

L’une des choses que sous-estiment les journalistes et les citoyens, c’est que les façons de faire de la science et de la valider sont les mêmes dans tous les domaines scientifiques. Si les blogues sont en train de remplacer les discussions autour d’une bière dans un congrès, ce ne sont sûrement pas les partisans d’une science moins fermée sur elle-même qui s’en plaindront. Au final, la bactérie à l’arsenic pourrait contaminer bien davantage la science que ses découvreurs ne l’imaginaient.

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