Fort heureusement, les
journaux et téléjournaux
ont été prompts à
mettre en doute le sérieux de
ce "bébé de l'année".
Mais l'objectivité journalistique
étant ce qu'elle est -si les
Raéliens le disent, peut-être
qu'ils l'ont vraiment fait- ils n'ont
eu d'autre choix que de d'abord rapporter
les propos de ceux que nous appellerons
ici les hurluberlus de la science.
Quoique. Est-il exact
de dire que les médias n'avaient
pas le choix? Après tout, voici
une scientifique, Brigitte Boisselier,
qui n'a jamais travaillé de sa
vie ni en technologies de la reproduction
ni en médecine ni même
en biologie -elle est chimiste- qui
parle d'un bébé que personne
n'a vu, né d'une mère
que personne n'a vue, grâce à
une technique que nul n'a identifiée,
et à des experts que personne
n'a nommés. Et
qui obtient pourtant la Une de la majorité
des journaux de la planète.
Quelle est la dernière
fois qu'un scientifique a réussi
à obtenir pareille visibilité?
Les médias se font
fréquemment reprocher de ne pas
accorder assez de place à l'information
scientifique. Année après
année, des découvertes
en physique, en biologie ou en génétique,
qui auront des répercussions
incalculables dans les décennies
à venir, passent presque inaperçues,
reléguées sous la forme
d'un entrefilet dans les pages intérieures.
Débarque un groupe d'hurluberlus
lançant une nouvelle qu'il leur
a suffi d'enrober dans une apparence
scientifique, et voilà que les
médias leur accordent davantage
de place qu'ils n'en ont accordé
à tous les Prix Nobel réunis
des 50 dernières années.
"Dès
le moment où Clonaid a affirmé
qu'elle n'avait aucune preuve de ce
clonage, les reportages auraient dû
cesser", s'indigne sur les ondes
de MSNBC Arthur Caplan, directeur du
Centre de bioéthique à
l'Université de Pennsylvanie.
"Cette
histoire n'aurait même pas dû
être imprimée", renchérit
dans les pages du Pioneer Press
de Saint-Louis (Missouri) le journaliste
Joe Soucheray: "Les raéliens
n'ont aucune crédibilité",
et les médias méritent
chaque ligne de critique qu'ils vont
recevoir pour être ainsi tombés
dans le panneau. Nous aurions dû,
conclut-il, traiter cette histoire de
la même façon que nous
traitons les histoires de Bigfoot, de
soucoupes volantes et d'astrologie.
L'objectivité journalistique,
insiste le chroniqueur Tim Runnen, du
Los Angeles Times, cette méthode
qui consiste à montrer les deux
côtés de la médaille,
nous sert généralement
bien. Mais
dans une histoire comme celle-ci, elle
démontre éloquemment ses
limites: une secte de cinglés
(a crackpot's cult), une annonce
sans substance, une chercheure qui n'a
jamais publié une ligne, et pourtant,
sa conférence de presse obtient
une audience digne du pape.
Seule mince consolation:
quelques journaux de poids, comme le
Los Angeles Times et le New
York Times, ont eu le réflexe
de ne pas faire "monter" cette histoire
jusqu'à leur première
page.
L'image de la science en prend un coup
D'ordinaire plus silencieux,
les scientifiques ont pour une fois
réagi: l'Association américaine
pour l'avancement des sciences (AAAS)
a émis un communiqué le
2 janvier, où elle enjoint les
citoyens à demeurer sceptiques.
"La couverture médiatique a connu
deux phases: une première, que
je qualifierais d'hystérique",
écrit Alan Leshner, président
de l'AAAS. Et une seconde, où
on a enfin pu prendre un peu de recul.
A terme, certains s'inquiètent
de l'impact que cette histoire aura
sur l'image que le public se fait de
la science. Que des hurluberlus qui
se disent scientifiques puissent aller
de l'avant avec un pareil projet, en
dépit des risques insensés
qu'ils font courir à la santé
de l'enfant, n'est en effet pas de nature
à rassurer qui que ce soit.
Car ce n'est pas juste
une histoire amusante qui aura servi
à meubler les journées
creuses du congé des Fêtes.
"Le message que reçoit le public,
s'inquiète Arthur Caplan, c'est
que la science n'a aucune règle."
N'importe qui peut y faire n'importe
quoi... pour autant qu'il ait de l'argent.
Et quelle belle publicité pour
une secte, qui peut de cette façon
attirer encore plus de gens vulnérables...
riches de préférence.
Pour le gynécologue
français Israël Nisand,
le clonage d'un être humain, qu'il
se réalise maintenant ou dans
10 ans, c'est
la "bêtise du siècle",
et il propose que les gouvernements
le rangent illico, avant qu'il ne soit
trop tard, parmi les "crimes contre
l'humanité".
Moins virulent, le généticien
Alex Kahn n'en
réclame pas moins la criminalisation
du clonage humain. Pendant qu'il
en est encore temps, puisque toutes
ces annonces, celles des raéliens
comme celles du Dr Severino Antinori
(que les raéliens ont manifestement
voulu prendre de vitesse, puisque "son"
bébé est, lui, attendu
pour janvier), aussi fantaisistes qu'elles
soient, n'en ont pas moins une raison
d'être: elles préparent
le terrain. Le but est "d'inculquer
à l'opinion publique le sentiment
que le clonage est inéluctable"
et qu'en conséquence, il ne sert
désormais plus à rien
de discuter de son interdiction.
Les hurluberlus du néant
Bien des choses auraient
pu être pointées du doigt
ces derniers jours. Par exemple, le
fait que la compagnie Clonaid, bien
que toute jeune, a déjà
des histoires derrière elle.
En 2001, elle a réussi à
soutirer 200 000$ à un avocat
américain, Mark Hunt, dont le
fils de 10 mois était décédé
d'une maladie cardiaque. Les sous devaient
servir à cloner ce bébé.
Le programme a été bloqué
par l'Administration américaine
des aliments et drogues (FDA), ce qui
a permis d'apprendre que l'expert derrière
cet espoir de clonage était...
un étudiant. Sans aucune expérience
en clonage animal.
Et puis, il y a cette
autre réalité, qui a échappé
à bien des journalistes. Si Clonaid
faisait vraiment des expériences
de clonage depuis quatre ou cinq ans,
il devrait y avoir à son actif,
à l'heure actuelle, des recherches
publiées. Les raéliens
invoqueront évidemment l'ostracisme
dont seraient l'objet leurs malheureux
chercheurs: mais la science ne fonctionne
pas comme ça. Au contraire, en
recherche scientifique, peu importe
la nature de vos découvertes,
peu importe qu'elles soient ou non controversées:
si vous avez obtenu des résultats
-même des résultats négatifs-
vous réussirez toujours à
les publier quelque part. Surtout à
l'heure d'Internet.
L'absence totale de publications
scientifiques -ne serait-ce que sur
des expériences d'animaux clonés-
est le meilleur indice du néant
qui entoure cette soi-disant "Eve",
de
même que le deuxième bébé
qui serait né sur un autre continent,
de
même que les trois autres bébés
qui, prétend-on, seraient prévus
pour février, de même que
-cerise sur le gâteau- le refus
des raéliens de procéder
à des tests génétiques
sur le bébé et sa mère.
Le clonage, s'il se réalise,
ne tombera pas du ciel... quoi qu'en
disent les extra-terrestres.