L'hypothèse classique est connue:
ils seraient arrivés d'Asie, ayant traversé
à pied le détroit de Bering entre la Sibérie
et l'Alaska, il y a 12 à 13 000 ans. A cette
époque où s'achevait la dernière
ère glaciaire, le détroit était
recouvert de glace, ce qui permettait un tel passage.
De cette vague d'immigration, et de deux autres qui
ont suivi, descendraient tous les Amérindiens.
Cette hypothèse a toutefois été
ébranlée au cours des dernières
années. Après deux décennies de
débat, les experts ont fini par s'entendre, en
2000, sur un âge pour le site de Monte Verde,
au Chili: 12 500 ans. Il devenait dès lors difficile
d'imaginer que les premiers arrivants, il y a 12 ou
13 000 ans, se soient précipités de l'Alaska
jusqu'au Chili en seulement quelques générations.
Il fallait donc qu'avant cette première vague
d'immigration, il y en ait eu une autre, plus ancienne,
et là-dessus, les experts en glaciation étaient
formels: pour trouver un moment où le passage
par le détroit de Bering n'était pas bloqué
par les glaciers, il fallait remonter jusqu'à
25 000 ans.
Cette possibilité n'a pas été
rejetée par les archéologues mais, rétorquaient-ils,
on n'a rien pour l'appuyer: si des Amérindiens
sont présents sur ce nouveau continent depuis
25 000 ans, pourquoi les traces les plus anciennes sont-elles
systématiquement vieilles de 10 ou 12 000 ans?
Les 33 crânes dont il est question
ici, qui ont été extraits de différents
musées, ont été analysés
et comparés avec ceux d'anciens Amérindiens.
Ils proviennent du Mexique, dans la péninsule
de Basse-Californie; ils ne résolvent pas l'énigme
de l'absence d'artefacts de plus de 12 000 ans, puisqu'ils
ne sont vieux que de quelques siècles ou quelques
millénaires. Mais ils apportent du poids à
l'hypothèse d'une immigration plus diversifiée.
Parce que ces crânes ont tous des caractéristiques
communes, qui les distinguent des crânes de la
plupart de leurs contemporains: de l'avis de l'équipe
qui publie ces résultats dans la dernière
édition de la revue britannique Nature,
ce sont des crânes typiques non pas des populations
du Nord-Est de l'Asie (desquelles descendent les Amérindiens),
mais des populations d'Asie du Sud.
Des archéologues sont d'ores et
déjà convaincus qu'il y a eu plusieurs
vagues d'immigration; ils s'appuient en cela sur des
découvertes récentes qui suggèrent
l'existence de populations diverses, chacune avec son
mode de vie et sa technologie: certaines semblent par
exemple dépendre davantage de la cueillette que
de la chasse à grande échelle. Mais les
artefacts de ces époques lointaines sont si épars
que ces archéologues ne peuvent avancer de preuve
déterminante.
Ces crânes vont-ils constituer un
tournant? En tout cas, ils suggèrent deux filiations:
l'une, partagée par la plupart des Amérindiens
actuels avec les peuples du Nord-Est de l'Asie et de
la Mongolie; l'autre, partagée par les peuples
d'Asie du Sud, de l'Australie... et par ces 33 crânes.
De là à dire que certains des premiers
Amérindiens, les plus anciens d'entre eux, seraient
arrivés par le Pacifique, il n'y a qu'un pas,
que les plus rêveurs se sont déjà
empressés de franchir...
Une des possibilités, évoquée
par Rolando Gonzalez-José de l'Université
de Barcelone (Espagne) et ses collègues mexicains
et espagnols, est qu'après l'ère glaciaire,
ces "Paléoaméricains" de la Basse-Californie,
isolés géographiquement par l'aridité
accrue de leur coin du monde, auraient été,
au fil des millénaires suivants, progressivement
supplantés par les nouveaux arrivants -les ancêtres
directs des Amérindiens d'aujourd'hui.