L'hypothèse était dans l'air
depuis au moins deux décennies, à mesure
que les archéologues accumulaient les artefacts.
Mais le tout était difficile à démontrer,
les denses forêts amazoniennes ne se laissant
pas approcher si facilement. Il a fallu une dizaine
d'années de travail à l'équipe
qui vient de publier dans la revue Science
pour "déterrer" et dresser une carte: pas
moins de 19 villages, certains entourant des habitats
plus petits, reliés entre eux par des routes,
certains protégés par tranchées,
une agriculture apparemment bien réglée
sur l'ensemble du territoire, et de la coupe d'arbres
dans certains secteurs choisis. Le tout dans une région
appelée le haut-Xingu, au centre de l'actuel
Brésil.
Et la découverte intrigue à
plus d'un titre: en général, une civilisation
plus avancée se développe plus facilement
lorsqu'elle a un accès à la mer, puisque
celle-ci fournit à la fois nourriture et routes
commerciales. Ici, rien de tel: une civilisation axée
sur la forêt et ses ressources. Certains de ces
villages, si on se fie à leur taille, auraient
pu abriter de 2500 à 5000 personnes, ce qui est
énorme pour l'époque.
Aujourd'hui, la région est toujours
habitée par des peuples indigènes, mais
en petits nombres; et d'un niveau technique et culturel
moins avancé que ce qu'on vient de découvrir.
Rien ne permet d'affirmer que ceux-ci sont les descendants
de ceux-là.
L'équipe américano-brésilienne
dirigée par Michael Heckenberger, de l'Université
de Floride à Gainesville, décrit dans
son article des villages disposant d'une place centrale,
et des routes de 20 mètres de large qui profitent
de l'alignement du Soleil; deux détails qui nécessitent
un degré élevé d'organisation.
Il faut en effet pour cela une société
dont tous les efforts ne sont plus uniquement voués
à la survie (chasse, pêche, cueillette),
mais dont une partie peut être dirigée
vers les calculs astronomiques ou l'architecture. Sans
parler d'une organisation politique, laquelle est indispensable
pour gérer des zones réservées
à l'agriculture et d'autres, à l'exploitation
forestière. Et pour simplement partager les ressources
dans une aussi épaisse forêt, où
les pluies et les sols arides limitent les possibilités
d'expansion et rendent certaines années bien
plus dures que d'autres.
La zone, couvrant approximativement un
millier de kilomètres carré, aurait été
habitée pendant au moins un millier d'années,
quoique le sommet de cette civilisation se situerait
plus précisément entre les années
1200 et 1400.
D'où venaient-ils? Au cours des
deux dernières décennies, d'autres archéologues
ont tenté de démontrer que des sociétés
avaient eu un impact sur la région du fleuve
Amazone. Mais l'Amazone, c'est grand: des tertres en
terre battue ont été découverts
près de l'embouchure, du côté de
l'Atlantique, et des digues de même que des barrages
érigés par des pêcheurs ont été
mis à jour de l'autre côté du continent,
en Bolivie. Sans compter des sols enrichis par de l'engrais
et des arbres à fruits cultivés, toutes
des traces de sociétés plus complexes
que les sociétés de chasseurs et de cueilleurs
qu'ont observés les explorateurs européens
au cours des siècles suivants.
Toutes ces traces sont-elles liées
entre elles, où n'y avait-il qu'un seul point
central, qui a influencé, de loin en loin, les
peuples indigènes du reste de l'Amazonie? Pour
l'instant, la balance penche plutôt vers la seconde
hypothèse: il est déjà difficile
d'imaginer qu'une civilisation avancée ait pu
survivre longtemps dans un environnement aussi hostile
qu'une jungle tropicale, il est encore plus difficile
d'imaginer qu'elle ait pu couvrir un territoire aussi
large que celui, plus au Sud, des Incas. Les archéologues
de l'Amazonie ont encore du boulot...