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Le « climategate 2.0 » aura donc été jusqu’ici un non-événement. Ce n’était pas joué d’avance, parce que les médias auraient pu être nombreux à tomber dans le piège de ces soi-disant nouveaux courriels piratés. Mais ça reflète que, contrairement à ce que les scientifiques imaginent, les journalistes sont eux aussi capables de faire de la révision par les pairs.

En temps normal, le journalisme est basé sur le principe d’équité : un temps de parole égal au pour et au contre. C’est ce qui a contribué au succès du pseudo-scandale appelé climategate, en 2009 : lorsque des milliers de courriels piratés, écrits par des climatologues américains et britanniques, sont apparus sur la place publique, plusieurs journalistes leur ont spontanément accordé une importance démesurée, comme si la science du climat —ou la science en général— se résumait à des opinions contradictoires émises dans des courriels.

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Ce qui, au passage, illustre mon billet précédent : l'extrême difficulté que nous avons, dans notre société, à distinguer faits scientifiques et opinions, surtout lorsqu'on n’est pas soi-même scientifique.

Reste qu’en 2011, par rapport à 2009, le « climat » a changé. Peut-être les rédacteurs en chef sont-ils plus nombreux à avoir appris, grâce à des recherches bien documentées, à quel point ils ont été manipulés depuis 20 ans par des lobbyistes du pétrole et du charbon bien dissimulés.

De plus, cette fois, les intentions de celui ou de ceux qui ont mis en ligne ces « nouveaux » courriels piratés sont transparentes. Tout comme en 2009, ils sortent à la veille de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Au point où... il n’y a presque rien de neuf! Pas de courriels plus récents que 2009, pas de phrases juteuses, tout au plus des désaccords entre experts sur des points de détail ou sur la façon de vulgariser ( The Guardian explique ici le contexte de certaines citations; Phil Jones en explique d'autres ici).

Tout laisse croire que ces 5000 courriels font partie du même lot qui avait été piraté en 2009, et dont plus d'un autre millier avait été publié à l’époque.

Ce qui suggère autre chose : si des dizaines de milliers de courriels (le ou les pirates prétendent 220 000) ont vraiment été piratés, jusqu’à quel point le petit échantillon qu'on nous donne à voir a-t-il été altéré par des gens qui ont intérêt à l’altérer?

Si ces nouveaux courriels étaient l’objet d’une recherche scientifique, un chercheur poserait en effet les questions suivantes : l’échantillon est-il représentatif de l’ensemble des courriels? Est-il biaisé? Et la réponse serait : cet échantillon n’offre pas la validité nécessaire pour tirer quelque conclusion que ce soit.

Or, il semble que les médias, même les généralistes, soient arrivés à cette même exacte conclusion depuis mardi. Sans méthode scientifique, sans doctorat en climatologie, sans même avoir à attendre les réactions des climatologues, les journalistes ont flairé un piège à ours.

Le vrai scandale est ailleurs

Reste bien sûr des blogueurs et chroniqueurs de droite qui, depuis mardi, s’en donnent à coeur joie et ne sont pas sans influence sur l’opinion publique. Mais ils font partie du problème : ils n’apportent que de l’opinion, sans les faits permettant d’expliquer les citations soigneusement choisies —un vieux truc que connaissent bien les avocats.

Pour qui voudrait vraiment enquêter sur des manipulations de l’information autour de cette thématique, il y aurait d’autres scandales plus juteux. Le chercheur en sciences cognitives australien Stephen Lewandowsky énumère par exemple les tentatives d’un sénateur américain d’accuser des climatologues d’actes criminels, sur la seule base des opinions émises dans des courriels, le quotidien canadien The National Post qui fait l’objet d’une poursuite pour articles diffamatoires à l’égard des climatologues, et la politique éditoriale de guerre à la science chez certains médias australiens.

On pourrait y ajouter les accointances douteuses entre les géants du pétrole et les groupes de réflexion soi-disant indépendants, et les accointances entre ces groupes et les politiciens des États-Unis et du Canada qui nient l’existence d’un problème.

Ce n’est certainement pas sain que, sur le flanc politique, le débat soit à ce point polarisé. Mais on peut au moins se consoler en constatant que, sur cette question des courriels piratés, la différence entre le fait et l’opinion sort de l'obscurité.

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