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Sur ce qui attend les médias en 2013, il y a les prévisions faciles —plus de lecteurs sur les tablettes, moins de pubs dans l’imprimé— et les difficiles —à quand davantage d’info scientifique? Et il y en a une, inquiétante pour certains d’entre nous: ces robots qui écrivent des articles à la place des journalistes... c’est sérieux ou pas?

- Des robots qui savent écrire. C’est, hélas, sérieux (voir l'autre texte) et ce sera sûrement une tendance de 2013. Mais en marge : si les gens de la firme américaine Narrative Science ont raison, un marché nouveau est en train de se développer pour eux, dans la couverture de matchs sportifs locaux et les comptes-rendus pour les rubriques financières. Pas assez pour mettre à pied des journalistes (sûrement pas des journalistes scientifiques), mais à long terme, le message est clair : si même des robots sont capables d’écrire certains types de textes, il est plus que temps que les «vrais» journalistes sortent de leur zone de confort.

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Difficile d’être contre l’idée: imaginons par exemple que ça libère les journalistes politiques des innombrables comptes-rendus factuels de sondages électoraux...

- L’effet Nate Silver. Justement, le résultat des élections américaines a démontré à quel point ces comptes-rendus de sondages étaient encore moins utiles qu’on ne le soupçonnait : le statisticien et blogueur du New York Times Nate Silver, en démontrant qu’il était possible de prévoir les résultats de l’élection présidentielle (voir ce texte, en novembre), n’a pas seulement humilié des centaines de chroniqueurs et de journalistes qui parlaient d’une « course serrée », il a ouvert la porte à une couverture politique plus «scientifique».

J’en entend déjà qui se rebiffent. Non, «scientifique» ne veut pas dire une couverture mathématico-statistico-ennuyante. Ça veut dire qu’en laissant aux spécialistes —Nate Silver ou journalistes scientifiques à l’aise avec les chiffres— la tâche de remettre en contexte les sondages, on dégagerait du temps-journaliste pour aller sur le terrain, ou parler des coulisses ou parler de quoi que ce soit qui apporterait davantage de valeur. Par exemple...

- Davantage de fact checking. Il est curieux qu’au Québec et en France, ce soit surtout en temps d’élections qu’on sente ce besoin de vérification systématique des propos des politiciens, mais après tout, les modèles américains, PolitiFact et Factcheck.org ont eux-mêmes moins de 4 ans. Le public semble apprécier: 2013 pourrait être une année de croissance dans le monde francophone : non pas ce travail de vérification des faits que tout journaliste accomplit en coulisses, mais une rubrique publiquement affichée en ce sens.

Or, derrière la vérification des faits, il y a souvent de la statistique. Plus nombreux seront les journalistes à cesser d’avoir peur des chiffres, et plus nombreux ils seront à les intégrer dans leurs recherches : ces reportages sur un traitement médical qui auraient eu besoin d’un pourcentage de guérisons, ces reportages sur le crime qui auraient eu besoin d’une mise en contexte sur le taux de criminalité... Mais là, on parle de changements d’ici 2020, pas du jour au lendemain.

- Le retour des changements climatiques? En fin d’année 2012, grâce à l’ouragan Sandy, même Fox News semblait prêt à accréditer le réchauffement climatique. Si ça se maintient, on peut être sûr que les médias américains vont remettre le sujet à l’ordre du jour en 2013. Et quand les médias américains mettent un sujet à l’ordre du jour...

Dans la liste des prévisions faciles :

- D’autres journaux et magazines vont abandonner le papier en 2013 —comme Newsweek l’a fait en décembre, après 79 ans. Selon MediaFinder.com, 23 autres magazines américains ou canadiens ont abandonné le papier en 2012. En France, qui sera le prochain à passer au tout-numérique? La Tribune, L’Équipe, Le Figaro?

Étonnamment, 195 magazines ont tout de même été lancés en Amérique du nord en 2012, contre 181 en 2011. Mais selon l’Audit Bureau of Circulation, le tirage et la publicité, aux États-Unis, ont reculé respectivement de 10 et 8,8% au cours du premier semestre.

Prévision contradictoire : en 2013, on entendra encore des «on vous l’avait bien dit, que le papier n’était pas encore mort»... mais en même temps, à l’échelle de l’industrie, les chiffres ne seront pas encourageants. Surtout du côté des magazines : des secteurs s’en sortent bien, d’autres inquiètent. En science, plusieurs s’interrogent sur la santé du magazine Discover, depuis qu’il a annoncé son déménagement de New York au Wisconsin.

- On commencera à douter des murs payants. Certes, le New York Times, un an et demi plus tard, semble avoir gagné son pari. Ses revenus d’abonnements (768 millions$, dont 91 grâce au numérique) auraient déjà dépassé ses revenus publicitaires (711 millions), du jamais vu dans l’histoire de ce quotidien, selon Bloomberg. Mais le Times est une exception. Pour son cousin du même groupe, le Boston Globe, les chiffres sont inquiétants —dans une ville où il y a tellement d’universités qu’un quotidien de qualité aurait pourtant dû avoir la vie facile.

Près de 400 journaux nord-américains offrent à présent un mur payant —à Montréal, Le Devoir se vantera sûrement un jour d’avoir précédé le mouvement d’une décennie. Prévision contradictoire : d’autres se lanceront dans les murs payants en 2013... et certains lanceront la serviette.

- Une carte de membre? C’est que le mur payant n’est pas la fin de tout. Comme peu ont les ressources du New York Times, il y a cette idée des «privilèges aux membres» qui circule. Dans les communautés où le journal jouit d’un fort capital de sympathie, plusieurs lecteurs seraient prêts à payer —en autant qu’on leur offre quelques avantages symboliques. Invitations à des rencontres avec des journalistes, bulletins électroniques, recommandations sur les spectacles, les restaurants, mais aussi —et on sent certains journalistes grincer des dents— davantage de participation des membres au contenu.

- Davantage de journalisme de qualité. En attendant, c’est couru d’avance, certains médias investiront en 2013 dans du contenu original, de l’explication, de l’analyse. Parce que si on veut que le lecteur paie, il faut lui offrir plus, et mieux. Optimisme extrême : selon le Canadien David Skok, même les agrégateurs de contenu comme BuzzFeed et Gawker seront obligés d’investir dans du contenu original, parce que les murs payants leur enlèvent du contenu où ils pouvaient puiser.

Autrement dit, la multiplication des murs payants en Amérique du nord aura en 2013 pour impact indirect —tant qu’on ne saura pas si ces murs sont rentables— davantage de journalisme de qualité. Y compris davantage d’information scientifique? On peut rêver...

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