Elle vivait sur une belle
petite planète: oasis au milieu de
l'inhospitalier désert cosmique.
Mais elle n'était pas heureuse.
Pour un oui, pour un non ou
pour une peau plus foncée, elle érigeait
des barrières. Au nom de concepts
aussi nébuleux que les cheveux blonds
et les yeux bleus, les uns avaient clamé
leur supériorité et justifié
la mort de six millions des autres. Au nom
de concepts encore plus nébuleux
parce qu'invisibles, comme la croyance en
un dieu différent, les uns avaient
clamé leur droit acquis sur un territoire,
aux dépens de ceux qui y vivaient
déjà.
Au nom de ces choses qu'elle
appelait la race, le peuple ou la religion,
l'humanité s'était divisée
contre elle-même.
Paradoxalement, au fil des
âges, elle avait puisé une
partie de sa force dans ces divisions. Car
jadis, des centaines de milliers d'années
plus tôt, ces divisions avaient eu
un caractère inéluctable,
quand les ancêtres des humains venaient
à peine de se dresser sur leurs pattes
de derrière. À ces époques,
la cohésion d'un groupe assurait
sa survie. Et à ces époques,
l'instinct l'emportait encore sur l'intelligence:
l'agressivité animale n'aurait pas
pu s'effacer du jour au lendemain.
D'aucuns prétendaient
que ces barrières et ces divisions
avaient encore un caractère inéluctable
quelques générations plus
tôt: les distances entre les peuples
étaient énormes, et l'ignorance
de l'autre et de ses coutumes était
par conséquent abyssale. Nul ne pouvait
exiger de celui qui n'avait jamais quitté
son village qu'il ait spontanément
confiance en l'étranger.
Mais en ce XXe siècle,
puis ce XXIe, la planète s'était
rapetissée. Chacun pouvait en apprendre
davantage des étrangers, même
s'ils vivaient à des milliers de
kilomètres, grâce aux bibliothèques,
aux journaux, à la télé.
Et la science était de plus en plus
mise à contribution: à mesure
que s'accumulaient les connaissances, il
devenait clair que les 6 milliards d'humains,
de quelque nationalité qu'ils soient,
descendaient tous d'un ancêtre commun,
vieux de pas plus que quelques milliers
d'années.
Dès lors, les barrières
perdaient tout leur sens. L'humanité
avait en main tout le savoir nécessaire
pour que l'inutilité et la stupidité
des divisions raciales ou ethniques ne lui
saute aux yeux.
L'un de ces savoirs s'appelait
la génétique. Dès ses
premiers pas, cette science avait permis
d'établir que l'humain et le chimpanzé
partageaient plus de 97% de leur code génétique.
Ce qui ne laissait pas grand-chose pour
une différence entre le Basque, le
Pygmée et l'Inuit...
Plus les savants s'enfonçaient
dans les profondeurs des gènes, plus
ils pouvaient se faire plus précis
quant aux 3% restants. Ainsi, en cette veille
de Noël 2002, un groupe d'entre eux
avait publié une nouvelle étude
-la plus détaillée du genre,
en attendant la prochaine!- qui concluait
que presque toutes les variations génétiques
différenciant un humain d'un autre
se retrouvaient à parts égales
dans tous les coins du monde, toutes les
nations, tous les peuples.
Toutes les variations qui
avaient pour conséquence qu'un humain
était prédisposé au
cancer mais pas son voisin, ou qu'un médicament
faisait effet sur lui mais pas sur son voisin.
Plus précisément 95% de ces
variations, étaient présentes
aux quatre coins du globe.
En d'autres termes: ce que
cette nouvelle étude démontrait,
c'était que, à quelques exceptions
près, il y avait davantage de différences
génétiques entre deux humains
d'un même groupe ethnique qu'entre
deux groupes ethniques. Il y avait certes
de-ci de là quelques anomalies statistiques
qui ressortaient de tel et tel groupe, mais
rien pour parler de différences significatives.
Chaque humain avait bel et bien 6 milliards
de cousins à peine différents.
Les scientifiques avaient
étudié 400 marqueurs génétiques
chez 1056 personnes provenant de 52 nationalités.
On ne sait pas trop comment
se termine cette histoire. S'il s'agissait
d'un véritable conte, la scène
finale, une fois dévoilés
ces résultats, serait celle d'une
grande embrassade hollywoodienne.
Mais dans un monde où
un tiers de la population du pays le plus
riche (et combien dans les autres pays?)
croit encore que la Terre a été
créée en 7 jours il y a 6000
ans, il y a du chemin à faire...
Le savoir, scientifique et
historique, est effectivement là,
mais même ceux qui y ont librement
et gratuitement accès ne voient pas
l'utilité, pour l'instant, d'échanger
leurs croyances et leurs préjugés
contre un peu de matière grise.
Joyeux Noël quand même...