En France,
après une pétition
qui a désormais
ramassé 70 000
noms, après être
descendus dans la rue
le 29 janvier (voir
Les
chercheurs à
la rue), après
une lettre de démission
déposée
le 9 mars par quelque
2000 des 3500 responsables
de laboratoires,
les chercheurs n'ont
toujours pas reçu
de réponse satisfaisante
de leurs supérieurs.
Même
la revue britannique
Nature en fait
son éditorial
dans son édition
du 12 mars, en commençant
avec cette phrase mi-flatteuse
mi-moqueuse: "Les scientifiques
français prennent
la rue plus facilement
que la plupart des autres,
mais ils sont à
présent dans
leur bon droit, confrontés
à un gouvernement
négligent."
Les discussions
ont repris après
la démission
de masse du 9 mars,
mais elles butent toujours,
selon Libération,
sur
les 550 emplois à
temps plein, transformés
en postes temporaires,
et dont le Syndicat
national des chercheurs
scientifiques réclame
le retour.
Mais bien
au-delà de ces
550 postes, c'est la
diminution progressive
des fonds alloués
à la recherche
qui irrite les chercheurs
depuis des années.
La pétition Sauvons
la recherche fut
lancée le 8 janvier,
deux jours après
le discours de début
d'année du président
Jacques Chirac, où
il présentait
la recherche comme une
"priorité nationale".
En réaction,
la pétition dénonçait
plutôt "l'asphyxie
financière des
laboratoires" et demandait
une série de
mesures d'urgence avant
le 9 mars, faute de
quoi les opposants démissionneraient
en masse. Ce qui fut
fait.
Le problème
n'est pas limité
à la France.
En Italie et au Royaume-Uni,
les universitaires protestent
aussi contre le gel
des salaires ou les
perspectives de carrières
bouchées. En
Italie, cela s'est concrétisé
par deux journées
de grèves des
jeunes scientifiques,
en février et
mars, en réaction
à un projet de
loi, publié le
16 janvier, qui accroît
les heures d'enseignement
et asseoit le contrôle
du gouvernement sur
l'embauche dans les
universités.
Dans tous les cas, on
brandit l'argument de
l'exode des jeunes cerveaux
vers les Etats-Unis.
Mais même
s'ils étaient
des dizaines de milliers
à protester,
à descendre dans
la rue ou à faire
la grève, leurs
cris auraient du mal
à avoir autant
d'impact que ceux de
groupes moins favorisés.
Comme l'a déclaré
aux journalistes un
neurologue d'Oxford,
lors d'une journée
de grève des
universitaires londoniens,
le 25 février:
"bien sûr que
les universitaires ne
sont pas payés
assez. Mais une grève
ne fera aucun bien.
Au contraire d'un conducteur
d'autobus, personne
ne se soucie de la grève
d'un scientifique."
Ce n'est
pas tout à fait
exact, à en juger
par un sondage récent
du quotidien La Croix,
selon qui huit Français
sur 10 sont sympathiques
à la cause des
chercheurs. Une
pétition d'appui
circule également,
en ce moment, parmi
la population.
Même
outre-Atlantique, au
Québec, en janvier
(voir
ce texte), des scientifiques
ont protesté,
par lettres et mémoires,
contre les coupes budgétaires
du gouvernement, celles
de l'an dernier et celles
que l'on craint pour
cette année.
C'est beaucoup moins
bruyant mais, pour le
milieu universitaire
québécois,
c'est un de ces rares
cas où ce groupe
a haussé le ton.
Mais c'est
en France que les cris
sont les mieux organisés.
Jamais les protestations
n'avaient atteint une
telle ampleur dans ce
milieu si souvent associé
à une tour d'ivoire.
Dans un document de
24 pages signé
par quatre prestigieux
scientifiques (François
Jacob et Jean-Marie
Lehn, Prix Nobel, et
Pierre-Louis Lions et
Philippe Kourilsky,
directeur général
de l'Institut Pasteur),
adressé au président
Jacques Chirac et publié
le 10 mars par le quotidien
Le Monde, ils
font une série
de propositions visant
à donner "un
nouvel essor à
la recherche": décentraliser,
afin que les universités
puissent retrouver leur
rôle local et
régional, réformer
le système actuel
d'emplois où
des gens sous-payés
sont insuffisamment
évalués,
au point où on
"en arrive à
dissuader l'excellence",
etc.
La France
investit déjà
suffisamment en recherche,
allègue le gouvernement,
qui rappelle que l'Union
européenne suggère
d'allouer à la
recherche 1% du PNB;
et c'est une condition
que remplit le pays
de Pasteur. C'est oublier,
lui rétorquent
le mouvement Sauvons
la recherche, qu'une
partie imposante de
cette somme va à
deux méga-industries:
celle du nucléaire
et celle de l'aérospatiale.
Résistez
à l'envie de
faire des compromis
à court terme,
leur conseille Nature
dans son éditorial,
sauf si ces compromis
permettent de garantir
la santé à
long terme de la recherche
un avis que l'on
devine également
destiné aux chercheurs
britanniques. "Le gouvernement
n'a aucune vision à
long terme pour la recherche,
et il n'y a aucune raison
de croire qu'il veuille
en développer
une", poursuit le rédacteur
en chef de la revue
britannique et
on se demande bien s'il
parle encore du gouvernement
français ou s'il
envoie un message à
son propre gouvernrement.
Bref,
ce qui se passe actuellement
en France est suivi
avec une grande attention
dans les universités
des autres pays et
servira peut-être
de modèle.