L'intérêt pour ce catalogue inattendu 
                      de l'érosion des rives et du débit des eaux 
                      est né en Suède dans les années 80, 
                      alors que faisait rage un débat sur l'opportunité 
                      de construire des barrages hydro-électriques sur 
                      les dernières rivières encore "libres". Christer 
                      Nilsson, écologiste des paysages à l'Université 
                      Umeå, avait alors tenté de récolter 
                      des données permettant de comparer les rivières 
                      affectées par les barrages avec les rivières 
                      non-affectées, pour se rendre compte qu'aucune compilation 
                      internationale de la sorte n'existait. 
                    Son équipe, dont les résultats 
                      paraissent dans l'édition du 15 avril de la revue 
                      américaine Science, a donc identifié 
                      292 des plus grandes rivières du monde. Il en ressort 
                      que 172 sont dites affectées par un ou des 
                      barrages. En Europe, les deux tiers sont même classées 
                      comme "grandement affectées", ce qui signifie que 
                      le début en a été altéré 
                      d'au moins 2%.
                    Une altération de 2% semble peu, mais 
                      c'est déjà largement assez pour perturber 
                      l'écosystème moins de poissons qui migrent, 
                      moins de plantes marines qui poussent et le rythme 
                      d'érosion qui varie énormément, 
                      suivant la distance du barrage à laquelle on se trouve. 
                    
                     
                      
                        - En tout, plus de 45 000 barrages de plus de 15 mètres 
                          de haut. Plus 
                          de 300 de ces barrages appartiennent à la catégorie 
                          des géants: plus de 150 mètres de 
                          haut. 
- Ces 45 000 barrages peuvent emmagasiner 6500 kilomètres 
                          cubes d'eau, l'équivalent de 15% des eaux douces 
                          de la planète
- En plus des 172 rivières affectées par 
                          un ou des barrages, il faut en ajouter un nombre indéterminé 
                          qui sont affectées par l'irrigation
- Parmi ces 172, on compte les 21 plus grandes rivières 
                          du monde et les huit rivières classées 
                          comme les plus biologiquement et géographiquement 
                          variées du monde. 
- Sur les 10 plus grandes rivières du monde, 
                          quatre ont vu leur débit être "grandement 
                          affecté" par les barrages, et six, "modérément 
                          affecté". 
- A lui seul, le Barrage des Trois Gorges, en Chine, 
                          le plus grand du monde, mesurera 181 mètres de 
                          haut lorsqu'il sera complété en 2009. 
                          Le lac ou réservoir qu'il formera derrière 
                          lui aura entraîné le déplacement 
                          d'un million de personnes. 
- Si l'Asie est pour l'instant la région du monde 
                          la moins affectée par les barrages, ce n'est 
                          qu'une question de temps, de 
                          nombreux projets majeurs étant à l'étude, 
                          notamment 49 barrages le long de la seule rivière 
                          Yangtze et 25 dans l'axe Gange-Brahmaputra, en Inde 
                          et dans les pays limitrophes. 
- La sévérité avec laquelle des 
                          barrages perturbent une rivière est liée, 
                          entre autres, à la densité de la population 
                          et au niveau de développement économique: 
                          dans le nord du Québec, où les barrages 
                          hydro-électriques sont construits dans des zones 
                          peu peuplées, l'impact est moindre que dans les 
                          forêts tempérées et les savanes. 
                        
 
                    L'étude a été financée 
                      en partie par Nature Conservancy, un groupe écologiste 
                      américain à but non lucratif, par la division 
                      suédoise du Fonds mondial pour la nature et le programme 
                      des Nations Unies pour l'environnement. 
                    Une autre 
                      étude publiée dans la même édition 
                      de la revue Science ajoute une dimension au portrait: 
                      James Syvitski et ses collègues de l'Université 
                      du Colorado y confirment que les barrages empêchent 
                      une quantité significative de sédiments d'atteindre 
                      l'embouchure des rivières. Or, sans ces "renforts", 
                      les régions entourant les embouchures subissent une 
                      érosion plus rapide.
                    Aux yeux de Nilsson, son étude met 
                      en évidence la nature planétaire du problème 
                      des barrages. En entrevue aux différents médias, 
                      il dit espérer qu'elle influencera les décideurs 
                      politiques confrontés à de futurs projets. 
                      "Mes préoccupations se sont accrues, parce que je 
                      vois qu'il n'y a plus de zones vierges ou de rivières 
                      non-entravées." Et son travail l'emmène déjà 
                      vers une autre conséquence: depuis l'automne dernier, 
                      financé par le Conseil de recherche de Suède, 
                      il s'est lancé sur la piste de l'impact de l'exploitation 
                      des rivières sur les populations de poissons.
                    Pascal Lapointe