Remarquez, les amateurs de chiens ne seront 
                      pas surpris: les récits d'animaux domestiques qui 
                      ont volé au secours d'un humain, au péril 
                      de leur propre vie, sont nombreux. De sorte que la possibilité 
                      que nos cousins chimpanzés puissent eux aussi accomplir 
                      des actes gratuits semblait relever du gros bon sens. 
                    Mais encore fallait-il le démontrer, 
                      et comme les actes gratuits ne courent pas les rues chez 
                      les humains comme chez les chimpanzés la probabilité 
                      qu'un scientifique soit au bon endroit au bon moment était 
                      très mince. Seule solution: provoquer l'événement. 
                    
                    Quel événement? Laisser tomber 
                      son crayon. Des chercheurs de l'Institut Max-Planck d'anthropologie, 
                      en Allemagne, ont démontré en effet que de 
                      jeunes chimpanzés vont ramasser un crayon marqueur 
                      "échappé" par un chercheur et le lui remettre. 
                    
                    Un geste anodin pour un humain, mais sans 
                      signification aucune pour cet animal. Or, c'est justement 
                      parce qu'il est sans signification aucune que bien des chercheurs 
                      auraient parié que le chimpanzé n'aurait pas 
                      ramassé le crayon: normalement, un animal ne rend 
                      pas un service à 
                      moins qu'il n'y ait un bénéfice évident 
                      pour lui. 
                    Michael Tomasello et Felix Warneken, qui rapportent 
                      leurs observations dans la dernière édition 
                      de la revue Science, 
                      ont de plus comparé ce comportement avec celui d'enfants 
                      de 18 mois. Ces derniers ont également tendu une 
                      main secourable, et de davantage de façons que les 
                      jeunes chimpanzés: aider l'adulte à retrouver 
                      un livre qu'il a "égaré" ou pointer du doigt 
                      une trappe permettant d'ouvrir une boîte où 
                      sont "malencontreusement" tombées ses clefs. 
                    De tels gestes, même pour un enfant 
                      de 18 mois, ne sont pas inattendus, parce que dès 
                      cet âge, un enfant commence à comprendre ce 
                      qu'un adulte pense ou désire (encore que ce type 
                      de compréhension ne sera pas pleinement développé 
                      avant l'âge de trois ans) de sorte que l'enfant peut 
                      lui-même avoir le désir d'aider. 
                    Est-ce la même chose qui motive ce comportement 
                      chez le chimpanzé? Une forme d'empathie, déjà?
                    L'an dernier, l'anthropologue Joan Silk, de 
                      l'Université de Californie à Los Angeles, 
                      avait conclu dans une autre étude que les chimpanzés 
                      ne montraient aucune préférence entre la possibilité 
                      d'acquérir de la nourriture pour le groupe ou pour 
                      eux seuls: degré zéro de l'amitié ou 
                      de l'empathie, avait-elle conclu. L'étude actuelle, 
                      souligne-t-elle, ne contredit pas la sienne: il s'agit de 
                      jeunes chimpanzés et peut-être ceux-ci voyaient-ils 
                      le crayon qui tombe comme un jeu. 
                    Mais c'est sûrement plus compliqué 
                      que ça, reconnaît-elle elle-même dans 
                      une analyse complémentaire. Car une seconde étude 
                      émanant du même laboratoire de Leipzig, en 
                      Allemagne, également publiée dans Science, 
                      conclut que les chimpanzés sont extrêmement 
                      doués pour collaborer entre eux lorsqu'ils 
                      s'en donnent la peine: ils "recrutent" les plus doués 
                      pour accomplir une tâche qu'ils sont incapables d'accomplir 
                      seuls (aller 
                      chercher de la nourriture sur un plateau difficile d'accès). 
                    
                    Altruisme, coopération, empathie: aussi 
                      embryonnaires soient-ils, ces sentiments devaient donc déjà 
                      exister, chez nos lointains ancêtres, il y a des millions 
                      d'années. Dommage que, depuis, on ne les ait pas 
                      développés à leurs pleines capacités.