Les personnes qui accomplissent de grandes choses ont souvent du mal à s’en attribuer les mérites. Les artistes par exemple sont des victimes notoires de ce que les psychologues appellent le syndrome de l’imposteur. Or, selon le magazine Nature, ce mal est également répandu chez les scientifiques et plus particulièrement chez les femmes qui atteignent les plus hautes sphères du monde académique.

Pour Laurent Drissen, professeur d’astrophysique à l’Université Laval, ce sentiment peut apparaître notamment à la suite de découvertes importantes. Il se souvient d’un moment dans sa carrière où il avait découvert deux étoiles importantes, une supernova et une étoile LBV à deux semaines d’intervalle. «Au début, je ne croyais pas que c’était moi qui avais découvert quelque chose d’aussi important. Il devait sûrement y avoir quelqu’un qui l’avait fait avant, et mieux que moi». M. Drissen explique qu’à moins d’être très confiant en soi, il est difficile de ne pas succomber au syndrome de l’imposteur. Après ses découvertes, le professeur était même retourné prendre de nouvelles images pour être bien sûr.

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Ce sentiment de ne pas être à la hauteur a été identifié pour la première fois il y a 30 ans par deux psychologues qui ont choisi le terme «phénomène de l’imposteur». Dans leur article paru en 1978, Pauline Clance et Suzanne Imes ont en effet décrit des femmes qui, malgré l’accumulation de preuves de réussites (comme des diplômes ou des prix), étaient incapables d’admettre mériter leur succès.

Bien que connu sous le nom de «syndrome de l’imposteur », du point de vue médical, ce n’est pas un syndrome. C’est pourquoi les deux auteures de l’étude ont bien pris soin d’éviter ce terme parce qu’elles considéraient que cela aurait été un autre moyen de «pathologiser» les femmes. Au départ en effet, les chercheuses croyaient que seules les femmes en souffraient : depuis, des études ont démontré que les hommes pouvaient eux aussi avoir du mal à vivre avec la réussite.

Beaucoup de personnes se considèrent atteintes. Par contre, il n’est pas encore clair si le syndrome de l’imposteur est un état émotionnel ou psychologique distinct. Ils s’appuient par exemple sur une étude réalisée en 2000 à l’Université Wake Forest en Caroline du Nord. Des psychologues ont demandé à des gens d’évaluer, sur une échelle de l’«imposture», quel serait leur résultat dans un test d’habiletés intellectuelles ou sociales.

Tel que prévu, ceux qui s’étaient dépeints comme des imposteurs ont dit qu’ils auraient de mauvais résultats lors des tests. Par contre, lorsqu’ils avaient à faire cette même prédiction, mais anonymement (croyaient-ils), ces personnes évaluaient leur chance de réussite aussi élevée que les autres.

Autrement dit, pour les chercheurs, ceux qui disent souffrir du syndrome... sont fréquemment eux-mêmes des imposteurs. Ils utilisent ce comportement comme une stratégie sociale et sont secrètement plus confiants qu’ils ne le laissent paraître.

Les femmes et les hommes n’utiliseraient pas cette stratégie de la même façon. En effet, deux psychologues de l’Université Purdue en Indiana ont découvert que les femmes qui disent en souffrir sont celles qui démontrent un grand désir de réussite tandis que les hommes minimisent leurs chances de réussite en public pour éviter la compétition dans des domaines où ils se sentent plus vulnérables.

Un handicap

Un reportage de la revue Nature présentait des chercheurs pour qui le syndrome de l’imposteur est une affliction réellement handicapante, au point de pouvoir faire dérailler une carrière. Par exemple, des chercheurs vont refuser des promotions parce qu’ils ne se croient pas assez compétents, même si leur curriculum vitae indique qu’ils possèdent plus que les qualifications nécessaires. La situation serait pire chez les femmes. Le syndrome de l’imposteur se manifesterait avec plus d’intensité chez les jeunes scientifiques, mais comme l’explique Laurent Drissen, ce sentiment disparaît peu à peu avec le temps.

Les causes? Pauline Clance et Suzanne Imes accusent la famille et, pour les femmes, la société qui impose des rôles sociaux. Une variété de symptômes comme l’anxiété et la dépression seraient sous-jacents.

Heureusement, il existe des moyens de faire face à ce problème. En parler, notamment, serait très libérateur.

Les scientifiques devraient aussi se défaire de certaines habitudes de langage : au lieu de se dire qu’ils ont été chanceux d’avoir été promus ou d’avoir été publiés, ils devraient se concentrer sur ce qu’ils ont fait pour le mériter. Mais le plus important peut-être reste d’accepter que les tâches qui ne seront pas toutes effectuées à la perfection...

Paul-André Gilbert

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