Année faste pour le cinéma: coup sur coup, deux films contestataires —et néanmoins scientifiques— débarquent sur les écrans, tandis qu’un troisième, une fiction, traîne avec lui une controverse: ses défenseurs disent qu’il aurait du mal à trouver un distributeur aux États-Unis... parce qu’il parle d’évolution!

Le producteur de Creation, un film britannique sur la vie de Charles Darwin, a en effet généré davantage d’attention à l’extérieur de la Grande-Bretagne avec cette controverse qu’avec le film lui-même. Lancé en ouverture du Festival international du film de Toronto le 10 septembre, Creation a ensuite eu son avant-première en sol britannique, moment où le producteur, Jeremy Thomas, en a profité pour déclarer que son film n’avait pas encore trouvé de distributeur américain, « à cause de ce dont parle le film ».

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Vrai ou faux? Les sceptiques prétendent qu’il est difficile de croire qu’une bonne controverse puisse ne pas faire vendre un film —et Creation, de l’avis des premiers critiques, est tout sauf controversé... à moins de considérer que Darwin constitue en soi une controverse! Chose certaine, même des sites sur la spiritualité s’en sont indigné:

Je veux dire, j’ai entendu les histoires de fous sur ces conseils scolaires dans des villages bizarres qui demandent que l’évolution ne soit pas enseignée aux écoliers, mais ceci est ridicule.

Les deux autres films, eux, sont résolument contestataires et ils ont trouvé, eux, leurs distributeurs. The End of the Line, un documentaire qui nous demande d’imaginer un monde sans poissons —une réalité vers laquelle nous nous dirigeons avec la fermeté d’un bulldozer raclant le fond des océans. Et The Age of Stupid, qui nous demande d’imaginer un monde postapocalyptique, à cause de l’inconscience humaine.

The Age of Stupid est un « docufiction » de la militante environnementale britannique Franny Armstrong, qui se déroule en 2055 sur une Terre dévastée. Le dernier survivant, un archiviste, rassemble des documents de notre époque et se demande pourquoi l’humanité n’a pas agi quand il en était encore temps.

Le film a été présenté en première mondiale à New York lundi dernier, 21 septembre, la veille de la rencontre là-bas des chefs d’État sur l’avenir des négociations sur les changements climatiques —rencontre dont tous les observateurs semblent considérer qu’elle a accouché d’une souris. C’est donc un appel aux armes, avant d’être un candidat aux Oscars, reconnaît Armstrong : « nous avons une mission majeure, comparable à l’abolition de l’esclavage et à la conquête de l’espace ».

Franny Armstrong, 37 ans, est déjà connue, spécialement en Grande-Bretagne, pour McLibel, un documentaire sur une saga judiciaire qui a opposé pendant sept ans McDonald’s et deux groupes provégétariens et anticorporations. Ceci explique peut-être que le financement de son film ait été en partie le résultat de dons du public... (The End of the Line est aussi un film indépendant, financé en partie par des organismes non gouvernementaux militants).

En complément du film, Armstrong a lancé une initiative appelée NotStupid.org, dont le rêve est de « transformer des spectateurs en activistes ».

De sorte que si Creation peut craindre d’être diffusé aux États-Unis, The Age of Stupid pourrait craindre d’être diffusé au Canada, à en juger par le paragraphe sur le Canada qu’on trouve sur NotStupid.org :

Canada really sucks... Il a fait de l’obstruction aux pourparlers sur le climat de 2008 à Poznan, il a manqué ses cibles de Kyoto par plusieurs kilomètres, puis les a abandonnées, et il développe ses sables bitumineux... Les Canadiens ont l’une des productions de gaz à effet de serre par personne les plus élevées du monde.

Là où The End of Line, documentaire de facture plus classique, présente un constat qui se veut rigoureux sur le dépeuplement catastrophique des océans dont notre mode de vie est responsable, The Age of Stupid tire sur plusieurs cibles, du conflit irakien pour le pétrole jusqu’à la lutte avortée contre la pauvreté en Inde en passant par l’opposition à l’installation d’éoliennes en Grande-Bretagne. Ce dernier item est même décrit par le chroniqueur environnemental du New York Times comme

Le portrait le plus saisissant du syndrome « pas dans ma cour » que je n’aie jamais vu.

Mais au final, aussi différents qu’ils puissent être, les trois films « controversés » partagent un objectif commun: transmettre des connaissances au-delà des gens déjà convertis. Eugenie Scott, directrice du National Center for Science Education, un organisme à l’avant-garde de la lutte contre le créationnisme dans les écoles, résume Creation ainsi:

La plupart des gens qui iront voir ce film pensent à Darwin comme à un personnage de carte postale —spécialement le vieil homme sévère, avec une longue barbe et un manteau noir. Ils ne pensent pas à Darwin comme à un homme grand et vigoureux, dévoué à sa jolie femme, avec une maisonnée d’enfants bruyants... En rendant Darwin humain, Creation encouragera, j’espère, certains spectateurs à vouloir en apprendre davantage.

« Rendre Darwin humain... » Tout comme Armstrong qui veut « humaniser les changements climatiques ». Des films peuvent-ils réussir à toucher des esprits là où des cours de biologie, des conférences internationales et des milliers de groupes environnementaux, ont échoué? La suite dans un cinéma (peut-être) près de chez vous...

[Ajout, 26 septembre] Comme l'écrit Christian dans les commentaires, Creation aurait trouvé son distributeur pour les États-Unis.

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