Les progrès technologiques répondent-ils à un problème scientifique ou humanitaire réel ou à une commande politique? La question est posée, et la démonstration de Nicolas Chevassus-au-Louis, journaliste scientifique et auteur français, lors de la conférence Du rêve à la réalité : quand la technologie dérape, présentée en février dernier au Coeur des sciences de l'UQAM, montre comment l'histoire récente accumule les idées les plus loufoques au nom de l'orgueil des dirigeants nationaux.

À commencer par la Guerre froide, où les Soviétiques et Américains se faisaient la course pour l'utilisation de l'arme atomique tant à des fins militaires que pour l'ingénierie civile. Entre les années 1950 et 1960, les scientifiques rêvaient d'utiliser l'engin explosif pour déplacer des montagnes, creuser d'immenses canaux ou construire des routes en un temps record. Quand on s'est rendu compte des ravages potentiels des retombées radioactives, les autorités ont aussitôt écarté l'idée.

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Les économistes justifient souvent les dérapages technologiques par la logique du marché, qui soumet les innovations les plus prometteuses à la loi « naturelle » de l’offre et de la demande. C'est vrai en partie, précise M. Chevassus-au-Louis, qui donne l'exemple des protéines de pétrole, que l'on a voulu introduire dans l'alimentation dans les années 1970. En France, la pétrolière BP avait investi beaucoup d'argent pour utiliser la matière première en remplacement de la nourriture pour le bétail et, dans une certaine mesure, celle de l’humain.

Or, cette poussée technologique n'a pas résisté à la dégringolade des prix du pétrole qui a marqué l'époque. Les investissements massifs pour poursuivre l'aventure n'étaient donc plus justifiés. Voici pour les raisons économiques. Mais ce sont surtout les décisions politiques qui ont eu raison de la viande de pétrole, explique le journaliste. L'arrivée du soja sur le marché offrait une concurrence féroce. Les États-Unis, premier producteur mondial, réussissent à imposer son monopole. La compétition est déloyale et BP baisse les bras.

La preuve la plus flagrante de l'influence politique sur le développement technologique reste le programme spatial américain Apollo. En 1961, le président John F. Kennedy annonce l'envoi prochain d'un homme sur la Lune. Ce sera le début de la course à la conquête de l'espace contre l'Union soviétique, déjà 10 ans en avance. Pour rattraper le retard, les Américains investiront des sommes colossales. En dollars d'aujourd'hui, l'investissement américain équivaut entre 222 à 744 milliards de dollars, explique Nicolas Chevassus-au-Louis. Une quête qui s'échelonne de 1961 à 1975, dont les retombées technologiques concrètes frôlent le zéro! Une contradiction magistrale de la théorie de « la main invisible » du marché, si chère aux économistes, continue-t-il.

En conclusion, les percées technologiques restent ballotées entre des visées purement humanistes, c'est-à-dire dans l'amélioration des conditions existentielles, et les ambitions politiques. Pour Nicolas Chevassus-au-Louis, la participation citoyenne est cruciale pour encourager l'innovation vers le meilleur objectif possible et favoriser le débat. Et contrairement à l'adage, qui dit qu’on ne peut pas arrêter le progrès, M. Chevassus-au-Louis est catégorique : mieux vaut l'orienter dans le plus grand intérêt.

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