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La recherche scientifique pourra-t-elle un jour s’autoévaluer par blogues ou Twitter ? Lenteur, patience, réflexion, versus vitesse, impatience, instantanéité : le choc de deux mondes.

La science est synonyme de patience : des années peuvent s’écouler avant d’ajouter une petite pierre à l’édifice. Internet, lui, est le royaume de l’instantanéité : une opinion peut désormais se propager à travers la planète en quelques heures.

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Bien avant Internet, cette distorsion était déjà la source d’une grande incompréhension entre scientifiques et non-scientifiques : pour ces derniers, il arrive que l’opinion et la recherche se confondent, pour peu que l’opinion donne l’illusion d’être appuyée sur de bons arguments.

Pourtant, les deux extrêmes sont loin de s’ignorer. Dans son édition du 20 janvier, la prestigieuse revue Nature publie un article intitulé : La révision par les pairs mise à l’épreuve par Twitter. Un article qui trouve des défauts, mais aussi beaucoup de qualités, à la « science 2.0 ». Et qui a fait beaucoup jaser... sur Twitter.

Une science plus ouverte

Ce n’est pas un argument neuf. Dès les années 1990, des scientifiques ont vu dans l’explosion d’Internet une opportunité pour élargir leurs « discussions ».

  • Avec Arxiv.org, les physiciens ont inventé en 1991 un nouveau concept, la « pré-publication » : un site où les recherches sont accessibles à tous, avant leur publication officielle dans une revue.
  • D’autres ont expérimenté, à travers les premières revues électroniques, des façons d’amener davantage de scientifiques à commenter les recherches publiées.
  • Le mouvement d’accès libre enfin, a progressivement gagné en crédibilité : pourquoi les revues ne devraient-elles être réservées qu’à ceux dont les institutions ont les moyens de payer des milliers d’abonnements?

Mais avec les blogues, on saute à pieds joints dans une autre dimension.

Nature donne deux exemples survenus en 2010. Le premier est une recherche parue en juillet dans Science : on aurait identifié des gènes permettant de prédire l’espérance de vie. Des blogueurs et des journalistes l’ont rapidement taillée en pièces pour sa méthodologie soi-disant biaisée. Le deuxième exemple est la « bactérie à l’arsenic » —une forme de vie soi-disant différente— qui a connu un sort similaire dans la blogosphère scientifique après sa publication dans Science, en décembre.

Pour beaucoup de chercheurs, une réponse aussi rapide est une bonne chose, parce qu’elle écarte plus vite du travail mal fait. « Lorsque certaines de ces choses restent longtemps dans la littérature scientifique, elles peuvent causer des dommages : influencer ce sur quoi des gens travaillent, influencer des secteurs entiers », explique [David] Goldstein [de l’Université Duke, dans l'article de Nature cité plus haut].

Mais toutes les « mauvaises recherches » ne portent pas sur des sujets aussi spectaculaires. En fait, depuis 2007, la revue PLoS One peut en témoigner, elle qui se vante de réformer le système de révision par les pairs en ouvrant aux commentaires toutes les recherches publiées chez elle. L’initiative a souvent été citée en modèle et pourtant, le nombre de commentaires reste très peu élevé.

De plus, si les deux recherches mentionnées plus haut ont suscité autant de commentaires négatifs, ce n’est pas juste à cause de la « révolution » du Web 2.0. C’est aussi parce que, chez Science, des réviseurs ont mal fait leur travail. Même chez les revues scientifiques les plus sérieuses, la tentation de la rapidité et de la quête d’attention peut faire des ravages...

Comment mesurer l’impact?

Reste que personne ne semble suggérer un retour en arrière. Il y aura de plus en plus de commentaires, de critiques par blogues interposés et de conversations d’un genre encore à définir. Comment les chercheurs peuvent-ils en tirer profit? Le journaliste de Nature envisage différents scénarios:

Une solution pourrait résider dans de nouvelles façons d’amalgamer, organiser et mesurer ces réactions dispersées, de telle façon qu’elles finissent par contribuer à la science de manière cohérente, plutôt que de simplement disparaître dans la blogosphère. Peut-être les expériences les plus intéressantes sont-elles sur des sites tels que Faculty of 1000 (F1000) et The Third Reviewer.com, ainsi que dans des bibliothèques de références en ligne telles que Mendeley, CiteULike et Zotero, qui permettent aux utilisateurs de placer des signets et partager des liens vers des recherches en ligne.

« Alors que les universitaires migrent vers de nouvelles formes de communications, il devient très important de mesurer ce qu’ils font et de comparer », déclare dans Nature l’étudiant en sciences de l’information Jason Priem, qui étudie l’efficacité d’une telle « mesure d’impact ». Beaucoup de scientifiques, habitués depuis des décennies à lire « mesure d’impact » en référence aux bonnes vieilles notes de bas de page, lèveront sans doute un sourcil perplexe en songeant que cela puisse un jour s’appliquer aux commentaires de blogues... ou aux renvois sur Twitter. Mais ce serait oublier que les « bonnes vieilles » notes de bas de page n’ont pas, elles non plus, toujours existé...

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