La grande mosquée de Québec

L’attentat du Centre culturel islamique de Québec, avec ses six victimes, a provoqué une onde de choc qui s’est étendue au reste du monde. Au-delà de la tragédie et de la profonde tristesse ressentie par la population, ce geste meurtrier montre qu’il existe bel et bien au Québec un mal, dont certains soupçonnaient l’avancée sans trop y croire : l’islamophobie.

Ce racisme, dont on ne parvient pas à prononcer ouvertement le nom, s’enracine depuis de nombreuses années, soutient la chercheuse du Centre Urbanisation, Culture et Société de l’INRS, Denise Helly : « depuis la Commission Bouchard-Taylor,  le discours raciste et antimusulman est très fort. Crimes haineux et incidents divers se multiplient. Le projet de Charte des valeurs du gouvernement québécois a lui aussi levé le couvercle de la marmite et il est devenu légitime d’exprimer des opinions islamophobes ».

Cette anthropologue et sociologue s’intéresse aux enjeux de l’immigration et de l’intégration au Québec depuis près de 40 ans, dont une vingtaine à se préoccuper plus spécifiquement de l’immigration musulmane, qui progresse depuis la fin des années ’80.

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Alors que l’Europe et particulièrement la France connaissent un pic d’intolérance envers les musulmans dans ces années-là, la chercheuse note qu’il faut attendre les attentats du 11 septembre 2001, pour voir surgir ici une première vague d’islamophobie.

En 2007, la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, se propose d’examiner les fameux « accommodements raisonnables ». « Cela ouvre toute grande la porte au nationalisme ethnique, à l’islamophobie – on entendra beaucoup parler de voiles – et à la question identitaire », sanctionne la chercheuse.

L’annonce récente d’un décret anti-immigration musulmane chez nos voisins relance l’inquiétude de voir un repli sur soi se répandre dans de nombreux pays.

L’Islam, et par ricochet les populations de confessions musulmanes, restent en effet la source de multiples peurs. « Le terrorisme, l’oppression des femmes, la religion vue comme un archaïsme intellectuel, forgent un imaginaire collectif constitué de diverses peurs alimentées par une immigration de plus en plus visible », note Denise Helly.

La montée d’un extrémisme de droite au sein de la classe moyenne, une résistance au pluralisme culturel, un soupçon de traumatisme religieux : ces éléments semblent de plus encourager la libération de la parole raciste – il n’y a qu’à penser aux propos de certains chroniqueurs et autres radios qui forment un terreau fertile à l’intolérance.

Comme la chercheure l'écrivait en 2015, les musulmans sont une cible de choix, en raison de leur importance démographique, leur faible capacité d’organisation et de mobilisation et la peur de l’islamisme politique auquel on les associe à tort. « Il y a de nombreux amalgames et de nombreuses fausses croyances tandis qu’il manque au Québec un discours politique ferme – contrairement au Canada. Depuis dimanche, c’est un coup d’arrêt mais l’islamophobie va repartir avec son ferment identitaire et antireligieux très présent ici », soutient la chercheuse.

Le motif principal de l’attentat ?

Alors que les motifs du tueur se révèlent peu à peu — l’islamophobie y trône en bonne place à côté d’un antiféminisme affirmé et d’une passion pour les armes — il semblerait que la quête de sens et le sacrifice de soi expliquent aussi cet acte violent.

« Ce n’est pas un cas unique », explique Jocelyn Bélanger, professeur adjoint à l'Université de New York Abou Dhabi et un des initiateurs du Centre montréalais de prévention de la radicalisation. « La recherche a fait des pas de géant pour comprendre ces personnes qui souffrent de rejet social, ce qui affecte la même région du cerveau que la douleur ». Pour contrer ce rejet, ils vont chercher à éliminer la ou les personnes qu’ils associent à leur souffrance.

Faudrait-il envisager, comme le directeur du Centre de recherche scientifique français (CNRS) l’a suggéré après les attentats de Paris, de mobiliser davantage la recherche ? « Mobiliser nos cerveaux plutôt que nos tripes » ?

« La science prend du temps, relève Jocelyn Bélanger. Cet évènement reste un phénomène à basse fréquence – il se produit peu d’attentats – et cela semble un peu irréaliste de se mettre en mode réaction. Si l’on veut injecter des fonds, il faudrait le faire auprès des chercheurs qui s’occupent au quotidien de ces questions ».

Il croit toutefois en la réhabilitation et en la déradicalisation. Il a d’ailleurs contribué à concevoir la trousse de renseignements sur l’extrémisme violent (TREV) destinée à comprendre le processus de radicalisation et la vulnérabilité des jeunes en quête de sens.

« L’ethnonationalisme  — ou nationalisme ethnique — cela touche des milliers de personnes. C’est possible de jouer sur la prévention. Et les personnes aux prises avec ce problème et réhabilitées peuvent nous aider en étant des vecteurs de changements. En visitant les écoles et en parlant à d’autres jeunes, cela peut avoir un effet boule-de-neige », pense Jocelyn Bélanger. Pour miser sur la prévention plus que sur la réaction, sur le dialogue plus que la sanction. Un acte de foi en cette période douloureuse et troublée.

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