Semaine du 12 février 2001

En manchette la semaine dernière:
Le désir d'avoir son double

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Génome: pour une poignée de dollars

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La porte s'ouvre sur la science spatiale

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Génome: acte un, scène deux


E
lle est vraiment étrange, cette annonce du séquençage du génome humain qui est faite cette semaine en grandes pompes. Etrange, parce que d'une part, c'est exactement la même annonce qu'en juin dernier, mais ça, peu de gens vous l'ont précisé. Et étrange, parce que les retombées tangibles sont encore à des années, voire des décennies, dans le futur -même si, à écouter les reportages, on a l'impression que c'est pour demain.


Que pensez-vous du décodage du génome?
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Voyez aussi notre chronologie du génome


Certes, le mois de février 2001 est à marquer d'une pierre blanche. Tous les livres d'Histoire garderont désormais en mémoire que c'est à ce moment que la science a officiellement franchi une étape majeure. Une étape qui, symboliquement, est aussi importante que le jour du débarquement sur la Lune, ou l'année de l'invention de l'imprimerie: la longue chaîne des trois milliards de "lettres" qui composent les gènes qui composent eux-mêmes un être humain. Après plus de 10 ans de travail impliquant des milliers de scientifiques aux quatre coins du monde, la porte est ouverte au décodage d'une foule de maladies, de comportements, d'aberrations ou de coups de génie.

Mais cette porte, n'avait-on pas annoncé son franchissement en juin dernier? N'était-ce pas exactement ce qu'on avait annoncé lors d'une cérémonie qui avait réuni les mêmes chercheurs, dans les mêmes capitales (Washington, Londres, Paris, Tokyo) assortis des mêmes politiciens, ou presque? En effet. Sauf que les annonces grandiloquentes sont une chose, et la recherche scientifique en est une autre. Il a fallu tous ces mois à ces chercheurs pour mettre par écrit leurs résultats (cartes des deux génomes décodés, puisqu'il y en a deux, carte des nucléotides, séquences de télomères, carte du chromosome Y, etc.), et les faire réviser par leurs pairs, avant que les dits résultats -totalisant une bonne vingtaine d'études- n'aient enfin l'honneur de la publication, dans les deux plus prestigieuses revues savantes de la planète: Science et Nature.

Et cette publication est en elle-même une aventure à part, pas très glorieuse pour l'univers feutré de la recherche scientifique: une partie de cette publication est privée, accessible uniquement à ceux qui voudront bien payer; l'autre est accessible à tous (lire cette nouvelle).


Deux petits génomes et puis s'en vont

Ces sept mois écoulés depuis juin ont-ils permis de mieux voir où cette porte va nous conduire ? Pas vraiment. Médicalement, il est encore trop tôt pour avoir fait des percées importantes du côté des maladies héréditaires (myopathie, chorée de Huntington, ou autres maladies rares) ou de maux qui n'ont rien d'héréditaire mais pourraient avoir une cause génétique (cancer, Alzheimer, diabète, hypertension, ou même l'alcoolisme). Beaucoup trop tôt parce que, rappelons-le, ce que les généticiens ont entre les mains, c'est un bottin téléphonique de trois milliards de lettres: mais il leur reste encore à découvrir les fonctions de chacune de ces lettres, et cela -comme nous l'écrivions en juin dernier- pourrait prendre des décennies.

"Les médias font force battage sur le fait que ce soit fini, sans comprendre que c'est loin d'être fini", lance à l'Agence France-Presse Cathy Schaeff, professeur associée du département de biologie de l'Université américaine de Washington.

Mais il y a un domaine où les choses ont bougé, depuis sept mois. Le domaine... financier. Est-il besoin de le rappeler, la course aux gènes est une course commerciale. Celui qui mettra la main le premier sur le gène de telle maladie espère ainsi s'assurer un brevet qui pourrait lui rapporter des milliards. Et bien que les compagnies de biotechnologie aient souffert du recul de la bourse -une chute de près de 40% depuis mars 2000- elles n'en attendent pas moins leur heure. Ne vous étonnez pas de les voir, au cours des deux prochaines années, concentrer leurs efforts sur des gènes prédisposant aux maladies les plus... lucratives. Comme les cancers du sein ou de la prostate. Pour ces compagnies, février 2001 n'est pas un aboutissement: ce n'est que le commencement.

"Bien sûr, résume le journaliste de Nature, il y a une signification profondément symbolique à la publication de ce livre des gènes. Mais ce n'est pas un livre que vous pouvez lire du début à la fin -du moins, pas si vous voulez comprendre ce qu'il dit." En vérité, plutôt que de le comparer à un livre, c'est à "une matrice ou à un réseau" qu'il faudrait désormais comparer le génome.

Car le travail des prochaines décennies est bien plus compliqué que s'il s'agissait de rechercher la fonction de ces gènes, l'un après l'autre. Il va falloir comprendre les interactions entre deux, trois, voire dix gènes. Il va falloir comprendre les protéines produites par ces gènes, un domaine, appelé la protéomique, qui commence à peine à être défriché. Il va falloir comprendre le rôle de ces gènes "parasites", ou gènes "mobiles" dont on saisit encore mal la raison d'être. Il va falloir comprendre pourquoi à peine 1% de nos gènes contient peut-être le potentiel d'un médicament. Il va falloir localiser ce 1%. Et constater que ce 1% peut varier d'une personne à l'autre: autrement dit, il est possible que vous soyez prédisposé à développer une maladie, parce que vous avez le gène défectueux, mais que vous ne développiez jamais cette maladie... pour des raisons tout à fait obscures. Comme quoi il y a encore beaucoup plus de chemin à faire que ne le laissent soupçonner les annonces grandiloquentes et les savantes analyses...

La génomique sera la base de la biologie du XXIe siècle, renchérit le directeur de l'Institut Whitehead à Cambridge (Massachusetts), un des chefs de file de cette recherche depuis 10 ans. Mais la biologie devra pour cela s'inventer une nouvelle façon de travailler, pour faire face à ces protéines et à ces gènes qui ne suivent pas des comportements linéaires (A influence B qui influence C), au contraire de ce à quoi la biologie avait jusqu'ici été habituée.


Sommes-nous juste un assemblage de gènes ?

On a comparé plus haut ce décodage au débarquement sur la Lune. Peut-être faudrait-il le comparer aussi à la "découverte" que la Terre n'était pas au centre de l'Univers. Car il n'y a pas à proprement parler un jour où on peut dire, "voici le jour où les humains ont découvert que la Terre n'était plus le nombril du cosmos". C'est une prise de conscience qui a pris des générations à faire son chemin. Une fois que ce chemin fut fait, l'humanité n'était plus la même.

La même chose pourrait se produire avec la génomique. A côté des études savantes publiées cette semaine, plusieurs experts se sont surpris à philosopher sur l'impact peut-être le plus profond de cette connaissance nouvelle: tôt ou tard, l'humanité prendra conscience à quel point elle est similaire à tout ce qui grouille sur cette planète. Nous partageons des gènes, en nombre étonnant, avec des espèces aussi lointaines que la bactérie ou le plant de riz. De quoi en devenir très humble, souligne, dans Science, Svante Paablo, anthropologue à l'Institut Max Planck de Leipzig (Allemagne).

Et non seulement en partageons-nous beaucoup, mais en plus, notre génome ne compte peut-être que 30 000 gènes -beaucoup moins que les estimations de l'an dernier. Soit à peine deux fois plus que le génome de la mouche à fruit. A peine une fois et demi plus que le génome d'un ver. Et à peine 300 de plus qu'une souris! De quoi donner un choc à ceux qui se croient encore le summum de la Création...

Ou pis encore, aux abrutis qui se décrivent encore en termes de "pureté de la race"...

"Le défi, résume Science en éditorial, est de cesser de penser en terme d'un gène à la fois et d'essayer de comprendre la totalité de l'ensemble en tant que système complexe. Il nous faut considérer comment un si petit nombre de gènes est capable d'engendrer une mouche ou une personne." Et ça, ça a de quoi bouleverser bien des façons de penser que partagent citoyens, philosophes... et religions.

En attendant que cela bouleverse aussi la vision très capitaliste de la science qu'entretiennent certains scientifiques... Mais ça, ça risque de prendre plus de temps...

 

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