Elle ne tombera pas, mais la science
en sortira grandie. Et pas seulement l'astronomie:
au cours des prochaines années, la climatologie
tirera sûrement des enseignements des données
que renverra Voyager 1 depuis cette mystérieuse
frontière qu'on appelle l'héliopause,
à 13 milliards et demi de kiliomètres
d'ici.
Mais est-elle vraiment en train de
franchir cette frontière? En dépit
de l'attention qu'ont consacré les médias
à Voyager 1 ces derniers jours, on
est loin d'en être sûr. Comme cette
sonde spatiale est la toute première à
se rendre aussi loin, et parce que le passage de
cette héliopause pourrait s'étaler
sur des années, il
faudra s'armer de patience.
Pour comprendre ce qui se passe, il
faut imaginer le système solaire, soit notre
Soleil et les planètes qui lui tournent autour,
comme étant enfermé dans une bulle:
c'est l'héliosphère. C'est
la zone d'influence du vent solaire: en d'autres
termes, la zone d'influence des particules électriques
émises par notre Soleil en permanence, tout
particulièrement lors des éruptions,
particules qui filent à des vitesses de l'ordre
de 400 à 750 kilomètres par seconde
(au moins huit fois la vitesse du son). Au-delà
de cette zone, ce sont les particules émises
par les autres étoiles qui dominent. La zone
grise entre les deux -l'héliopause- est donc
la zone où le vent tourne: à l'intérieur
de la bulle, les particules émises par le
Soleil; à l'extérieur, celles expédiées
vers nous par le reste du cosmos.
Les physiciens savaient depuis longtemps
que lorsque Voyager 1 et sa consoeur, Voyager 2,
lancés en 1977, franchiraient cette frontière,
leurs instruments en rendraient compte, en raison
du ralentissement, puis de l'interruption du vent
solaire. Or, ce lieu fascine les physiciens, parce
qu'il doit être un prodigieux mixeur de ces
particules chargées électriquement.
De leurs collisions, certaines voient peut-être
leurs énergies respectives multipliées
par 10 000, pour former un rayon cosmique anormal.
Peu de ces choses pourront être
observées par Voyager 1, dont les instruments
sont trop fatigués et dont la radio est trop
faible pour envoyer une masse de données
vers nous. Mais chaque bribe d'information permettra
de dessiner une carte de l'héliosphère,
qui ne forme pas une bulle sphérique, mais
elliptique: elle se déforme continuellement,
au hasard des tempêtes solaires et du déplacement
de notre Soleil et de ses planètes au sein
de la galaxie.
Trois études sont consacrées
à Voyager 1: deux dans la revue Nature,
une troisième dans les Geophysical Research
Letters. C'est une
des études de Nature qui nie que
les dernières observations de Voyager, remontant
au mois d'août 2002, correspondent à
l'héliopause: pour Frank McDonald, de l'Université
du Maryland et ses collègues en effet, ces
données qui réjouissent ses collègues
ne sont en rien concluantes. Comme le détecteur
de plasma de Voyager seul capable de fournir
une mesure directe du vent solaire est tombé
en panne il y a longtemps, Stamatios M. Krimigis,
du Laboratoire de physique appliquée à
l'Université Johns Hopkins et ses collègues
qui signent l'autre article,
ont dû se rabattre sur une analyse des particules
à basse énergie, et c'est de là
que provient leur conclusion que le vent solaire
a décliné dans le voisinage atteint
par la sonde. Ils affirment également avoir
détecté une multiplication du nombre
de particules "étrangères" -c'est-à-dire
provenant non de notre Soleil, mais du reste du
cosmos. McDonald n'y voit pour sa part qu'un signe
précurseur de l'héliopause, non l'héliopause
elle-même.
Au pire, Voyager 1 est donc très
près des limites de notre système
solaire. Il est à 90 unités astronomiques
(UA) du Soleil, soit 90 fois la distance Terre-Soleil.
Les estimations plaçaient l'héliopause
entre 85 et 120 UA. Qui plus est, comme on vient
de le dire, l'héliopause est une frontière
mouvante: elle peut s'éloigner lorsque l'activité
solaire se fait soudain plus intense. Ainsi, Krimigis
affirme qu'en février 2003, soit six mois
après les principales observations, Voyager
1 aurait été à nouveau assailli
par le vent solaire: un peu comme des vagues qui
viennent lécher vos pieds après avoir
reculé. Sur ce point aussi, il faudra des
années avant d'éclaircir tout cela
si les instruments de Voyager veulent bien
tenir le coup jusque-là.
Sa soeur jumelle, Voyager 2, vogue
dans une autre direction, et devrait atteindre la
distance de 90 UA dans cinq ou six ans. Il faut
se rappeler que Voyager 1 et 2 ne devaient à
l'origine fonctionner que pendant cinq à
sept ans: elles sont parties à la rencontre
de Jupiter et de Saturne, et devaient ensuite aller
se perdre dans le vide interstellaire, porteurs
d'un disque et d'une plaque destinés à
d'éventuels extra-terrestres. Mais Voyager
2 fonctionnait si bien qu'après Saturne,
on l'avait d'abord détourné vers Uranus,
puis vers Neptune, fournissant aux Terriens le tout
premier contact avec ces planètes.
Un dernier point. Que diable vient
faire la climatologie dans une analyse de particules
à basse énergie voguant à plus
de 13 milliards de kilomètres? Tout simplement,
ces particules électriques interagissent
avec l'atmosphère de notre planète.
Plus les chocs sont nombreux là-bas, plus
nombreuses sont ces particules qui, avec une énergie
multipliée par 10 000, retombent vers nous;
celles qui passeront au-travers du champ magnétique
terrestre pénétreront dans notre atmosphère
où elles attireront les molécules
d'eau, provoquant de la pluie.
Y aura-t-il davantage de pluie, des
températures plus basses, plus élevées?
Quelques climatologues débattent là-dessus
depuis des années. Peut-être qu'une
sonde spatiale voguant aux confins de notre bulle
cosmique leur apportera des embryons de réponses.