En 1953, on parlait
encore d'acide désoxyribonucléique,
et non d'ADN. En fait, il faudra
attendre les années 60 avant
que l'abréviation ADN ne
se glisse jusque dans les cours
de biologie et, au-delà,
ne commence à faire son chemin
dans l'esprit du public.
En 1953, quand on
pensait science, on était
davantage préoccupé
par l'énergie atomique, la
bombe à hydrogène...
ou l'escalade du Mont Everest. Cette
année-là pourtant,
deux hommes, James Watson et Francis
Crick, avaient été
les premiers à atteindre
un objectif que plusieurs autres
visaient depuis des années:
identifier la façon dont
étaient constitués
nos gènes. Leur structure.
Cette fameuse structure en forme
de double hélice: en 1953,
elle était pour la première
fois révélée.
Aujourd'hui, elle est devenue une
icône de la culture populaire.
La revue britannique
Nature a publié pas
moins de sept articles, en 1953,
sur la structure et la fonction
de l'ADN. Mais ce type de recherche
scientifique demeurait à
ce point obscur, révèle
l'historien américain Robert
Olby, que pendant toute l'année
1953, il n'y eut, dans toute la
presse britannique, qu'un seul reportage
là-dessus, le 15 mai, dans
le News Chronicle (qui eut
tout de même droit à
la première page).
Ce n'est pas parce
que les scientifiques ne s'intéressaient
pas à la génétique.
Au contraire, il y avait un bouillonnement
d'activités sur les caractéristiques
physiques d'un gène et sur
ses mutations -qu'on se rappelle
les nombreux ouvrages de science-fiction
des années 50 sur des mutants
nés de la bombe atomique.
Mais la forme, ou la structure,
de notre bagage génétique,
semblait de peu de conséquence:
entre autres parce qu'avec les moyens
techniques de l'époque, personne
n'aurait rêvé pouvoir
dresser la carte de notre génome
avant des siècles.
Qui plus est, il ne
suffisait pas de dessiner une double
hélice pour convaincre la
communauté scientifique de
l'importance de la chose. Il fallait
décrire ces paires de bases
qui formaient les "barreaux de l'échelle",
et qui contenaient en elles les
bases de l'hérédité:
les fameuses A, C, T, G, ces quatre
lettres de l'alphabet génétique
qui, par leurs différentes
combinaisons, engendrent un être
vivant. Ce fut cette information,
apparue dès 1953 puis enrichie
à mesure que s'affinaient
les méthodes d'analyses,
qui fit sortir l'ADN du cercle d'experts
où elle risquait d'être
cantonnée et surtout, qui
mit fin aux doutes des autres experts.
Avant la fin des années 50,
on avait confirmé la façon
dont une molécule d'ADN produisait
des copies conformes d'elle-même
(Matthew Meselson et Franklin Stahl),
on avait identifié l'enzyme-clef
derrière ce processus (ADN
polymérase), on avait observé
le flot d'information allant des
acides nucléiques aux protéines
(et aujourd'hui, on commence à
peine à dresser la carte
de ces protéines).
En 1962, le Nobel
tombait dans les mains des découvreurs
de la double hélice. Les
doutes étaient tombés.
Et la génétique était
promise à un brillant avenir...