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Lorsque les coupes budgétaires dans la culture scientifique québécoise ont été annoncées en décembre 2014, les organismes touchés ont eu droit à un élan de solidarité du public. Mais chez quelques-uns qui se sont dit favorables aux coupures, est revenu un argument, toujours le même : on est à l’ère du numérique, il faut s’adapter. Sous-entendu : ceux qui n’en sont pas capables ne pourront pas « conquérir le marché ».

 

Avant d'aller plus loin, voici trois pistes qui illustrent le fait que le mantra « adaptez-vous au numérique » aurait intérêt à... s’adapter au numérique.

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1) S’adapter au numérique : ceux qui l’ont fait et qui sont morts

Il ne faut jamais perdre de vue que même des médias qui ont adopté le numérique avec brio, et qui peuvent se vanter d’être allés là où nul média n’était allé avant eux, ont été incapables de « conquérir le marché ». Par exemple :

 

  • Le magazine américain Seed , né en 2002 à Montréal avant de s’exporter à New York. Il se définissait en opposition aux autres magazines de science, vus comme élitistes, ennuyeux et « dénués de tout sens de l’humour », dans les mots de son éditeur, Adam Bligh. On lui doit entre autres le tout premier réseau de blogueurs de science en anglais, ScienceBlogs, en 2006. Le réseau existe toujours mais le magazine a cessé d’être imprimé en 2009 et les textes en ligne les plus récents datent de 2012.
  • En France, OWNI a été décrit pendant un temps comme l’archétype du « média 2.0 » : participatif, démocratique, mélange de blogues — y compris en science — et de reportages journalistiques fouillés. Lancé en 2009, partenaire de Wikileaks, il a même reçu deux prix d’une association américaine (Online Journalism Awards). Mais cela n’a pas suffi : en faillite, il a fermé en décembre 2012.

 

Et l’Agence Science-Presse, s’est-elle adaptée au numérique ? Nous ne sommes pas forts sur la vidéo, ni sur Snapchat. Mais le site attire tout de même un million de visiteurs par an, un exploit pour un média né dans une autre ère, quand la première clientèle était constituée d’hebdomadaires régionaux imprimés. Les revenus publicitaires ne sont certes pas au rendez-vous, mais là-dessus, nous sommes en bonne compagnie.

2) S’adapter : ceux qui l’ont fait, mais n’ont pas un gros public

Le deuxième problème avec l’argument de l’adaptation au numérique pour survivre aux lois du marché, c’est que les médias numériques qui font un travail de qualité et qu’on cite en modèle dans les congrès de journalisme sont rarement des succès commerciaux. Par exemple :

 

  • Pro Publica , voué au journalisme d’enquête ;
  • Climate Central , partenariat entre chercheurs et journalistes ;
  • Vox , qui mise sur l’analyse et la réflexion, entre autres en santé ;
  • Mediapart , journal numérique d’information générale fondé en 2008 par des vétérans des quotidiens Le Monde et Libération.

 

Qu’ont-ils en commun ? Des recherches fouillées, de l’enquête, des textes de qualité, bref, toute cette « information qui n’est pas rentable », comme je disais dans un billet précédent. De quoi vivent-ils ? À l’unique exception de Mediapart, sur lequel on reviendra dans un prochain billet, ils vivent tous de philanthropie.

Ajoutez à cela que ce sont tous des organismes sans but lucratif. C’est à souligner, parce que les médias à but non lucratif sont nombreux dans ce domaine et pourtant, le « non lucratif » est en contradiction avec la philosophie classique d’une « conquête du marché » : l’idée étant en effet que, si vous faites du bon travail et que vous vous « adaptez au numérique », vous allez vite faire des profits. Étrange, non ?

3) S’adapter : la course au clic

Mais il existe une dernière catégorie de médias qui se sont eux aussi adaptés au numérique et qui sont, eux, bel et bien devenus des entrepreneurs-à-succès. À ceci près qu’ils provoquent un malaise chez les journalistes en quête d’un Pro Publica ou d’un Médiapart :

 

 

Point commun à ces trois derniers médias : leur brio dans la course au clic. Avons-nous mis le doigt sur la solution, la recette du succès ? Ce sera le sujet du prochain billet.

 

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