Alors que l'étau se resserre sur
la cause première de l'accident un fragment
du revêtement qui s'est détaché
au décollage a bel et bien endommagé une
tuile de protection située sous l'aile
le comité d'enquête va bien au-delà
de cet accident, et pointe sévèrement
le fonctionnement même de l'agence spatiale américaine.
Une "culture institutionnelle" déficiente est
à blâmer et l'accident
qui a conduit à la mort de sept astronautes n'aura
été que la pointe de l'iceberg.
Le comité n'a pas encore déposé
son rapport, mais un brouillon du résumé
-la 6e version- a été
rendu public en fin de semaine. Ce qu'on peut y lire
rejoint les sévères reproches qui avaient
été adressés à la Nasa dès
février (voir La
politique a-t-elle tué Columbia?): une hiérarchie
où chacun renvoie la balle à son voisin
ou se décharge de ses responsabilités
sur son supérieur; des décisions politiques
contradictoires venues de Washington, mais qu'on s'efforce
de suivre, peut-être par crainte de perdre un
précieux financement.
Avec pour résultat, des problèmes
qui s'accumulent et des bris à la sécurité
sur lesquels on ferme les yeux, faute des budgets nécessaires.
Tôt ou tard, un accident comme celui de Columbia
devait fatalement se produire.
Le plus récent exemple de ce laxisme
est peut-être le fait qu'on ait, en février,
balayé
du revers de la main la possiblité que le morceau
du revêtement ait pu endommager l'aile de
Columbia: les derniers tests menés par le comité
montrent qu'au contraire, ce morceau de revêtement,
aussi léger soit-il, peut
faire des dégâts, lorsqu'il est lancé
avec une force équivalente à celle d'un
canon.
Egalement troublant est le fait que même
après qu'on eut admis la vague possibilité
que ce revêtement ait pu endommager l'aile (ce
qui posait le risque que de l'air ultra-chaud ne s'engouffre
là-dedans au moment de la rentrée dans
l'atmosphère, provoquant une explosion), la Nasa
s'est empressée d'écarter tout scénario
alternatif. Le brouillon du comité ne s'étend
pas là-dessus, mais des informations recueillies
par les médias américains en fin de semaine,
il ressort que le comité ne semble pas avoir
été convaincu par l'explication de la
Nasa selon laquelle rien n'aurait pu être fait
pour empêcher l'accident.
Mais, diront ceux qui se porteront à
la défense de la Nasa, y a-t-il vraiment moyen
de faire autrement dans un domaine comme l'exploration
spatiale, qui est par définition un secteur à
haut risque? Oui, il est possible d'allier risque élevé
et sécurité, écrit le comité,
qui donne en exemple la façon dont d'autres organisations
gèrent des risques en apparence aussi grands:
par exemple, les centrales nucléaires.
Il est certain que les coupes budgétaires
de la dernière décennie ont mis à
mal le programme des navettes. La solution résiderait-elle
dans une privatisation de ce programme, d'autant que
celui-ci n'a jamais été le succès
annoncé par ses promoteurs des années
70? Plusieurs y songent, en particulier les géants
de l'aéronautique Boeing et Lockheed Martin,
déjà les plus gros fournisseurs privés
de la Nasa.
Le rapport final devrait être déposé
à la fin de juillet, assure le directeur du comité,
l'amiral Harold W. Gehman Jr. Il s'agira d'une volumineuse
lecture, promet-il, refaisant notamment l'historique
du programme des navettes et passant en revue l'enquête
sur l'accident de 1986, qui avait détruit la
navette Challenger et tué ses sept occupants.