La disparition
de la navette Columbia représente
une
tragédie, mais en
même temps une opportunité,
commence l'éditorial
de la revue britannique
Nature: celle de
remettre le programme spatial
américain sur les
rails qu'il a quittés
il y a un quart de siècle.
A trois reprises
dans leur histoire, les
Américains ont pleuré
la mort d'astronautes: mais
c'est la première
fois qu'ils se retrouvent
devant un doute aussi sérieux.
Après l'incendie
au sol dans la capsule Apollo
1 en 1967, le programme
lunaire avait simplement
poursuivi sur sa lancée.
Après la destruction
de la navette Challenger
en 1986, le programme des
navettes était suffisamment
jeune pour qu'on laisse
la chance au coureur. Mais
à présent,
avec Columbia, qui peut
dire quel est l'objectif
à atteindre? La navette
est décrite par les
administrateurs de la Nasa
eux-mêmes comme un
véhicule dépassé,
la station spatiale, dont
la construction aurait dû
prendre fin en février
2004, a perdu des plumes
depuis 10 ans, et l'exploration
du cosmos n'enthousiasme
plus le public depuis longtemps.
Il faut que
les choses aillent vraiment
mal, pour que sur un site
aussi militant que Space.com,
on ait pu lire ces derniers
jours ce message: "quels
sont les bénéfices
du voyage spatial? Est-ce
que quelqu'u pourrait me
les rappeler?"
Les fanas
d'astronautiques, rappelait
la semaine dernière
le New York Times,
sont prompts à donner
comme justification la
curiosité inextinguible
des humains et leur désir
de conquérir de nouveaux
horizons, que ce soit
l'Amérique, l'Everest
ou la Lune. L'affluence
dans les différents
planétariums (800
visiteurs à l'heure
pour celui de New York!)
démontre que le cosmos
suscite encore la curiosité.
Mais il n'en demeure pas
moins qu'une flamme s'est
éteinte depuis l'époque
héroïque des
missions Apollo -mis à
part certains moments-clefs
comme l'arrivée de
Pathfinder sur Mars en 1997
(voir
ce texte).
"Notre
futur dans l'espace appartient
à l'Histoire",
titre dans son édition
du dimanche le Times,
dans le cadre d'un bilan
des interrogations de la
semaine. "Les rêves
et les prédictions
des visionnaires ont été
rangés au tiroir,
sauf dans la fiction (et
même les films comme
Star Wars ne parlent
plus vraiment de voyage
spatial, mais de mondes
mythiques). Il n'y a plus
de Carl
Sagan. Les congrès
scientifiques sont rarement
saisis de concepts audacieux...
Sauf pour ces grandioses
images de planètes
et d'étoiles provenant
de sondes automatiques,
le vieil enthousiasme pour
les vols spatiaux s'est
évaporé."
L'éditorialiste
de Nature est moins
lyrique, mais parle de la
même chose, lorsqu'il
souligne que l'accident
de Columbia survient au
moment où l'agence
spatiale américaine
commençait à
repenser sa vision des vols
habités: l'avion
orbital, cet éventuel
successeur de la navette,
est réapparu sur
les planches à dessin
cet automne; si le projet
ne se retrouve pas aux poubelles
-comme plusieurs avant lui-
ce sera le premier concept
neuf de véhicule
spatial depuis des décennies
-depuis, en fait, la navette.
Et l'accident est survenu,
ironiquement, deux jours
avant le dépôt
du budget 2004 de la Nasa
par son patron, Sean O'Keefe,
celui-là même
qui, lors de son entrée
en poste en décembre
2001, avait été
critiqué pour son
"manque de vision".
Mais quelles
visions proposent justement
ceux qui s'étiquettent
visionnaires, et ces visions
sont-elles réalistes
pour sortir de l'impasse?
- Il y a tout d'abord
la réapparition,
dans le dernier budget
Bush, d'engins spatiaux
propulsés par
des réacteurs
nucléaires (Projet
Prométhée:
2 milliards$ sur cinq
ans), un concept qui
avait été
abandonné sous
la pression des groupes
écologistes.
Un réacteur nucléaire
est indispensable à
une mission de longue
durée vers des
planètes lointaines:
un moteur chimique comme
celui de la navette
nécessiterait
un réservoir
gigantesque pour un
aussi long voyage, et
les moteurs à
énergie solaire
relèvent encore
de la science-fiction.
- Il y a bien sûr
des projets de missions
habitées. Les
uns mentionnent la Lune
pour un observatoire
astronomique installé
sur sa face cachée;
les autres parlent de
missions géologiques
vers un de ces astéroïdes
qui passent régulièrement
à proximité
de la Terre; les autres
encore rêvent
d'un télescope
spatial successeur d'Hubble,
mais installé,
lui, sur une orbite
éloignée
(un demi-million de
kilomètres, soit
plus loin que la Lune).
Et enfin, il y en a
plusieurs qui n'ont
jamais cessé
de rêver à
Mars.
Tous ces projets
sont technologiquement réalisables
dans un délai d'une
décennie, mais il
faudrait y mettre des sous.
Le budget 2004 réclame
39 millions$ pour démarrer
une "Human Research Initiative",
mais ce ne sera qu'une étude
de faisabilité. Pour
envoyer des astronautes
au-delà de l'orbite
terrestre, il faudra bien
plus d'argent, un plan à
long terme, donc une volonté
politique claire, et la
nécessité
de faire des choix: peut-être
rogner dans l'avenir des
navettes, voire dans celui
de la station.
Réaliste?
Comme le rappelle à
la revue américaine
Science un membre
du comité-conseil
de la Nasa qui, après
l'explosion de Challenger,
avait travaillé,
à la Maison-Blanche,
sur l'avenir de l'agence
spatiale, aujourd'hui, "le
monde est différent.
A l'époque, nous
n'avions pas une guerre
à l'horizon, et le
terrorisme n'était
pas la menace nationale."
"La navette,
conclut de son côté
Nature, n'est qu'un
moyen, plutôt qu'une
destination en soi. De même
en est-il pour la station
spatiale... Un programme
spatial qui ne se donne
pas le souci d'explorer
est ultimement voué
à se dessécher."