Car Francis Crick, celui qui, avec James Watson
annonça en 1953 la découverte de la double
hélice, cette structure si particulière sur
laquelle nos gènes s'enfilent, n'était pas
un biologiste. Il était physicien. Et c'est peut-être
ce regard différent, un brin inattendu, qui a fait
pencher la balance, entre 1951 et 1953, dans un petit laboratoire
de l'Université de Cambridge.
Décédé
le 28 juillet à l'âge de 88 ans, le Britannique
Francis Harry Compton Crick a été cité
depuis la semaine dernière, dans tous les médias
du monde, comme "celui qui a contribué à déchiffrer
l'ADN";
"le
pionnier de l'ADN"; voire "l'un des pères de l'ADN";
mais en réalité, la biologie connaissait déjà
l'ADN, ou acide désoxyribonucléique.
Il avait été isolé dès 1871
et on le savait être un constituant de nos chromosomes.
En 1944, le médecin-chercheur américain Oswald
Avery avait conclu que c'était dans l'ADN, et non
dans une protéine, que se cachait notre hérédité.
Et avant 1950, le biochimiste américain Edwin Chargaff
avait établi que l'ADN se décomposait en quatre
types de molécules ou "bases" (A, C, T, G), attachées
les unes aux autres comme les perles d'un collier.
Ce qu'on ignorait, c'était la forme
que prenait ce collier. Sa structure. Pour les uns,
c'était là une question anodine, pour les
autres, c'était au contraire une étape essentielle
pour commencer à décoder le grand livre de
la vie.
Plusieurs laboratoires, dont celui dirigé
par une célébrité américaine
du moment, Linus Pauling, y travaillaient en cette fin des
années 1940, alors que Francis Crick, diplômé
de physique au Collège universitaire de Londres (1937),
récemment démobilisé de l'armée
où il avait travaillé, pendant la Deuxième
guerre mondiale, à la conception de mines magnétiques
et acoustiques, venait à peine (1947) de commencer
à étudier la biologie. Rien ne le prédisposait
donc à devancer une célébrité
comme Pauling... sinon une série de concours de circonstances.
A nouveau étudiant, à Cambridge cette fois,
il se joignit en 1949, comme étudiant-chercheur,
au Conseil de recherche médicale, où son sujet
de doctorat (qu'il obtiendrait en 1954) tournait autour
de la représentation par rayons-X des polypeptides
et des protéines.
Or, parvenir à définir la structure
de l'ADN avec l'aide des rayons-X, c'était justement
ce sur quoi travaillaient Linus Pauling mais aussi, au Collège
universitaire de Londres, une petite équipe rassemblée
autour du cristallographe britannique Maurice Wilkins et
d'une étudiante une rareté, à
cette époque Rosalind Franklin. C'est elle
qui, en 1951, obtient la première "photographie par
diffraction de rayons-X" d'une molécule d'ADN, une
photographie floue, mais qui démontre que l'ADN a
indéniablement une structure régulière.
Ordonnée. Restait à déterminer quelle
structure.
La photographie est montrée à
Naples, dans le cadre d'un congrès. Parmi les spectateurs,
un étudiant américain en biologie de 23 ans,
James Watson, qui décide dès lors de se consacrer
à la définition de cette structure. Embauché
au laboratoire de cristallographie de l'Université
Cambridge à l'hiver 1951, il y rencontre Francis
Crick, son aîné de 10 ans, déjà
engagé sur cette voie. "Il m'a traité comme
si j'étais un membre de sa famille", se rappelait
cette semaine James Watson.
Il leur faudra un an et demi de tâtonnements
le retard de Crick en biologie, mais aussi leur méconnaissance
à tous les deux de la chimie pour aboutir à
cette structure en double hélice. Leur article paraît
dans la revue Nature en avril 1953... et ne suscite
d'abord qu'un intérêt mitigé: pour beaucoup
de biologistes passionnés de cette science naissante
qu'est la génétique, il importe bien plus
de comprendre comment l'ADN fabrique des copies d'elle-même
que de savoir quelle "forme" elle a.
C'est au cours des années 50 que, progressivement,
la double hélice échappe à l'anonymat
des laboratoires. On se rend compte que Crick et Watson
n'ont pas seulement bâti un joli modèle en
trois dimensions: ils ont, en 1953 et dans l'année
qui suit, décrit la façon dont l'information
s'encode (les paires de base), et ils ont par conséquent
pavé la voie à la possibilité de décoder
cette information: ce sera le décodage du génome
humain, près de 50 ans plus tard.
En 1962, Crick, Watson et Wilkins se partagent
le Nobel de biologie. Entretemps, Crick a eu le temps d'approfondir
ses nouveaux amours: cristallographie et chimie organique,
qui le conduisent à l'étude de la structure
des protéines et des virus, domaine où il
deviendra également une vedette parmi ses pairs.
Plus modeste que son collègue Watson,
il fut moins sollicité par les médias et a
poursuivi son travail dans l'ombre, ce qui ne l'a pas empêché
d'accumuler les récompenses: Fellow de la Société
Royale (1959), prix Charles-Léopold-Meyer de l'Académie
française des sciences (1961), prix de la Fondation
Lasker (avec Watson et Wilkins, 1960), etc. Marié
deux fois, père de trois enfants, il a déménagé
en Californie dans les années 1970, où il
a poursuivi son travail à l'Institut Salk d'études
biologiques.
Pour
le Dr Matt Ridley, auteur de Genome and Nature via
Nurture, Francis Crick mérite d'être placé
au panthéon scientifique aux côtés des
plus grands: Newton, Darwin et Einstein. Comme eux, il a
ouvert une fenêtre, qui a changé la façon
dont les êtres humains regardent le monde qui les
entoure... et la place qu'ils y occupent.
A lire aussi, de Crick lui-même:
Crick, F.H.C., What Mad Pursuit: A Personal View of Science.
Basic Books, New York, 1988.
Sur la découverte de 1953:
Il
y a 50 ans, la double hélice
Voir aussi:
L'ADN
dans la culture populaire (29 avril
2003)
Fêter
l'ADN (29 avril 2003)
Le projet génome humain (Hugo) fut
une collaboration internationale comme on voudrait en voir
d'autres. Lire à ce sujet:
La
science de l'avenir (17 avril 2003)