
Le 20 février
2005

Retour
au sommaire des capsules
L'information scientifique veut être libre
WASHINGTON (Agence Science-Presse) - Les promoteurs
d'un accès libre et gratuit à la recherche
scientifique viennent d'obtenir un appui de taille: les
National Institutes of Health (NIH) l'un des plus gros organismes
subventionnaires de la recherche en santé dans le
monde, encouragent fortement leurs auteurs à rendre
accessible gratuitement leurs recherches, dans les 12 mois
suivant la publication.
Cette politique, dévoilée au
début du mois et qui doit entrer en vigueur le 2
mai, pourrait "changer la face" de la recherche biomédicale,
avait alors déclaré avec fierté le
directeur du NIH, Elias Zerhouni. Mais elle est encore loin
de faire l'unanimité: pour Donald Kennedy, le directeur
et rédacteur en chef de la revue Science,
l'une des plus importantes revues de chercheurs au monde
et qui publie par la force des choses beaucoup de
recherches subventionnées par le NIH cette
politique part d'une intention louable, mais risque de créer
"deux sortes de science, celle soutenue par le NIH et tout
le reste".
Donald Kennedy tenait ces propos samedi, lors
d'un atelier sur l'accès public à la recherche
(open access), dans le cadre du congrès de
l'Association américaine pour l'avancement des sciences
(AAAS) et il intervenait juste après la directrice
adjointe à la recherche du NIH, Norka Ruiz Bravo,
qui venait de faire l'éloge de "sa" nouvelle politique.
Il faut savoir que le NIH y travaille depuis
plus d'un an. En juillet 2004 ont eu lieu des audiences
publiques au cours desquelles les positions tranchées
des deux parties ont conduit à une série de
compromis: le NIH n'oblige personne, il "encourage fortement"
les chercheurs subventionnés à rendre accessible
gratuitement leur recherche, immédiatement après
sa publication ou dans les 12 mois, en en déposant
une copie dans la base de données PubMed
Central.
La gratuité: une vague de fond
Mais il faut aussi savoir que le NIH n'a lui-même
fait que prendre le train en marche, puisque le débat
remonte à une dizaine d'années, lorsqu'Internet
a commencé à pénétrer le grand
public. Des chercheurs y ont alors vu l'occasion de rendre
la science davantage accessible au grand public. Jusque-là
en effet, une recherche publiée par exemple dans
Science ne rejoignait qu'un public privilégié:
ceux dont l'organisme de recherche ou la bibliothèque
avaient les moyens de s'abonner à la revue. Or, avec
Internet, il devenait théoriquement possible, par
la magie du copier-coller, d'entreposer dans une méga-base
de données toute la littérature scientifique
et l'idée a d'autant plus de sens que beaucoup
de ces recherches sont payées par le contribuable:
des organismes comme le NIH, la National Science Foundation
des Etats-Unis ou le Conseil national de recherche en sciences
et génie du Canada, sont publics.
Problème: une revue comme l'Américaine
Science publiée par l'AAAS, organisme
à but non lucratif ou la Britannique Nature
publiée par un éditeur à but
lucratif vit de ses abonnements et de la publicité:
pourra-t-elle conserver les deux revenus si tout ce qu'elle
publie devient accessible gratuitement quelques semaines
ou quelques mois plus tard? Les éditeurs se sont
donc rapidement opposés à l'idée et
les promoteurs de l'accès gratuit se sont du coup
lancés dans un très efficace travail de lobbying
qui dure encore, et qui a été favorisé
par l'augmentation rapide des coûts d'abonnements
pratiquée ces dernières années par
les plus gros des éditeurs.
La conséquence la plus visible de ce
lobbying est la coalition Public
Library of Science (PLOS) dont la pétition, en
2001 (voir
ce texte) appelait au boycott des revues qui refuseraient
de rendre accessibles gratuitement "leurs" recherches. Cette
pétition a recueilli des dizaines de milliers de
signatures, et c'est elle qui a mis sur la carte l'idée
de l'accès libre (open access). PLOS a également
accouché en 2003 (voir
ce texte) d'une revue, PLOS-Biology, qui a rapidement
pris une bonne place sur l'échiquier, et dont les
recherches publiées sont évidemment rapidement
accessibles à tous, gratuitement.
En décembre, le Wellcome Trust, le
plus important fonds subventionnaire privé de la
recherche au Royaume-Uni, se rangeait du côté
des promoteurs de l'accès libre (voir
ce texte). Le NIH ne pouvait faire autrement que de
se brancher, tôt ou tard.
A l'inverse de Donald Kennedy, une autre rédactrice
en chef, Elizabeth Marincola n'a que des bons mots pour
la politique de la NIH. Sa revue, publiée par l'American
Society for Cell Biology, a été parmi les
premières à participer au mouvement d'accès
libre, en 2001, en déposant ses recherches dans PubMed.
Et les abonnements n'en ont pas souffert: ils ont continué
d'augmenter!
Le modèle de cette association de biologistes
cellulaires est-il applicable aux autres associations et
à leurs revues? C'est la première question
qui est venue lors de la période de questions, mais
ni Marincola ni Kennedy n'ont pu y répondre. Reste
qu'au rythme où évoluent les choses sur Internet,
non seulement autour de la littérature scientifique
mais aussi de l'accès "libre" à la musique,
on est en droit de se demander si les résistants
à l'accès libre pourront résister bien
longtemps...
Pascal Lapointe
Capsule
suivante
Retour
au sommaire des capsules
Vous aimez cette capsule? L'Agence Science-Presse
en produit des semblables -et des meilleures!- chaque
semaine dans l'édition imprimée d'Hebdo-science
et technologie (vous désirez vous abonner?).
Vous voulez utiliser cette capsule? Contactez-nous!
|