"Plutôt que de l'ignorer, les scientifiques
doivent comprendre les raisons de sa popularité et
aider les étudiants à reconnaître les
alternatives", écrit la revue britannique Nature
en éditorial.
Nature consacre rien de
moins que sa page couverture, cette semaine, à la
montée du créationnisme, ou plutôt du
"design intelligent", ce maquillage par lequel les créationnistes
tentent de tasser l'enseignement de l'évolution des
écoles.
Ayant abandonné l'idée d'une
création du cosmos en six jours, plusieurs d'entre
eux s'appuient désormais sur un savoir scientifique,
de sorte que leur théorie du design intelligent passe
mieux la rampe chez certaines clientèles. En particulier,
parce qu'elle se donne l'apparence d'une théorie
scientifique, elle permet de contourner, aux États-Unis,
l'interdiction de faire entrer la religion dans les écoles
publiques.
Il y a par ailleurs longtemps que cette montée
en popularité n'est plus réservée aux
commissions scolaires les plus conservatrices des États
du Sud. Le concept de design intelligent gagne en effet
popularité dans les universités nord-américaines
et même européennes.
- Depuis la création du premier
club Intelligent-Design (IDEA) à l'Université
de Californie à San Diego en 1999, plus de 20 autres
ont ouvert dans des collèges américains.
- En octobre, une école de Pennsylvanie
est devenue la première à adopter l'inclusion
du design intelligent dans son programme scolaire (voir
L'ignorance
au pouvoir).
- Des projets similaires sont à
l'étude dans au moins six États, dont le
Kansas, le Mississipi et l'Arkansas. C'est
cette semaine que commencent à ce sujet des audiences
publiques au Kansas, que les principales associations
de scientifiques boycottent (voir Créationnisme:
l'impossible dialogue).
- Dans tous ses cas et plusieurs autres,
on s'apprête à coller, ou on a déjà
collé, des auto-collants sur les livres de biologie
stipulant que l'évolution n'est qu'une banale théorie
parmi d'autres
- Selon un sondage Gallup, les trois
quarts des adolescents américains croient que Dieu
joue un rôle dans la création des animaux
et l'évolution de notre planète.
Le concept touche donc une corde sensible,
ne serait-ce que chez les jeunes qui tentent de réconcilier
leur foi avec leur intérêt pour la science.
On aurait donc tort de l'ignorer. Le problème réside
dans le fait que ces jeunes ne voient pas que le design
intelligent n'est pas une théorie scientifique, parce
qu'il entre en conflit avec le raisonnement scientifique
le plus élémentaire.
Le pourquoi et le comment
Explication. La science a pour fonction de
base d'expliquer le "comment": comment ça marche,
comment ça évolue, comment ça se rend
du point A au point B.
La religion et la philosophie ont plutôt
pour mission de proposer des explications au "pourquoi":
pourquoi sommes-nous ici, où allons-nous, quel
est le sens de la vie. Toutes des choses auxquelles
la science ne peut pas, par définition, apporter
de preuves.
Or, le design intelligent prétend justement
apporter des preuves du pourquoi alors qu'en réalité,
il n'en propose aucune, se contentant de critiquer les preuves
relatives à l'évolution. C'est ce qui lui
vaut de basculer du côté des pseudo-sciences.
Tout ceci est clair pour un scientifique,
mais fort abstrait pour un non-scientifique. Et c'est là
que le bât blesse, dénonce Nature: les
scientifiques ne s'impliquent pas assez dans les débats,
n'interviennent pas assez sur la place publique, n'osent
même pas prendre le temps de dire à leurs étudiants
comment eux-mêmes réconcilient leur foi avec
la science.
Ils
sont divisés sur l'entrée du design intelligent
dans les universités. Mais comme il est impossible
d'empêcher une idée de circuler, il revient
aux scientifiques de prendre leur craie et d'expliquer les
bases même de la biologie: la complexité d'un
organisme et le parcours qui y a mené et la méthode
scientifique qui a permis d'arriver à ces conclusions.
"Je pense que les professeurs de biologie
peuvent faire un meilleur travail pour expliquer l'évolution",
affirme Eugenie Scott, directrice du Centre national pour
l'éducation aux sciences, un groupe californien qui
est à l'avant-poste de la promotion de l'enseignement
de l'évolution.
Se contenter "d'attaquer ou rejeter le design
intelligent, conclut Nature, aggravera le fossé
entre science et foi qui entraîne un intérêt
plus grand encore des étudiants pour le design intelligent."
Pascal Lapointe