En gros, plus longtemps ces cellules-souches
ont été cultivées en laboratoire, et
plus elles risquent de présenter des changements
génétiques qui les rendront inutiles ou dangereuses.
Les cellules-souches, que d'aucuns sont déjà
allés jusqu'à qualifier d'immortelles ou
capables de se diviser indéfiniment sans altérations
devront peut-être désormais venir avec une
étiquette "meilleur avant".
On appelle cellules-souches des cellules qui
ne se sont pas encore spécialisées et qui,
pour cette raison, pourraient en théorie être
"programmées", en laboratoire, pour former un poumon,
un foie, un morceau de peau ou un fragment de cerveau pour
une greffe ou une transplantation. Elles sont devenues pour
cette raison, depuis 10 ans, l'un des plus gros espoirs
de la recherche bio-médicale mondiale.
Au fil de cette même décennie,
des résultats encourageants ont été
obtenus sur des animaux de laboratoire et sur des fragments
de tissus cultivés en éprouvette: des cellules-souches
greffées ont parfois dans certaines circonstances
contribué à accélérer le processus
de régénération cellulaire. On est
encore très loin de voir "pousser" un poumon ou de
pouvoir guérir un grand brûlé ou un
handicapé dont la moelle épinière a
été rompue, mais l'espoir est là.
Jusqu'à maintenant, le plus grand revers
était politique: parce que les cellules-souches les
plus prometteuses sont celles qui proviennent d'embryons
vieux de quelques jours, cela pose un dilemme moral. Dilemme
qui a été tranché radicalement dans
quelques pays, dont les Etats-Unis: interdiction totale
de jouer avec des cellules-souches d'embryon si vous êtes
un laboratoire financé par des fonds publics.
Mais cette semaine, le nouveau revers est
purement scientifique, et il est de taille. Le taux de mutations
subi par les lignées de cellules-souches les plus
anciennes est "alarmant", lira-t-on dans l'édition
d'octobre du mensuel britannique Nature Genetics
(compte tenu de l'importance de l'enjeu, l'éditeur
a choisi de rendre les résultats publics dès
maintenant). Pire encore, certaines
de ces mutations sont connues pour leur association avec
le cancer.
En d'autres termes, si on veut espérer
pouvoir utiliser ces cellules-souches à des fins
thérapeutiques, il faudra trouver le moyen de les
garder "fraîches": c'est-à-dire ne pas les
laisser se diviser librement, de génération
en génération, mais
les garder au congélateur autant que faire se peut.
Mutations normales et mutations anormales
Rappelons que toute série de gènes
tend à accumuler des mutations à mesure que
les génération s'écoulent: à
la base, ce n'est donc pas là une surprise. Avec
des millions, voire des milliards de "lettres génétiques"
par être vivant, des erreurs dans les copies se glissent
inévitablement. Mais ici, ce dont on parle, c'est
d'un nombre d'erreurs supérieur à la normale,
écrivent les chercheurs dirigés par Aravinda
Chakravarti, de l'Université Johns Hopkins à
Baltimore, Maryland.
Ceux-ci ont comparé les versions originales
de neuf de ces lignées de cellules-souches qui
sont "archivées", ou plus exactement "congelées"
avec leur descendantes. Huit sur neuf avaient développé
une ou des mutations génétiques observées
dans des cas de cancers chez des humains.
Nul ne peut en conclure que ces cellules mutées
seraient néfastes si elles étaient transplantées
chez des humains: ce qui se passe au fond d'une éprouvette
pourrait être fondamentalement différent de
ce qui se passerait dans la réalité de notre
corps. Mais le doute est trop grand pour être ignoré:
cette découverte va probablement retarder de plusieurs
années toute expérience sur des humains mettant
en jeu des cellules-souches.
A l'inverse, elle va accélérer
la recherche en vue de la création de nouvelles lignées
de cellules-souches: tout le monde va désormais souhaiter
avoir sous la main une plus grande réserve de cellules-souches
"fraîches".
Pascal Lapointe