1. Cette étude est-elle pilotée
par l'industrie pharmaceutique?
Non. Le chercheur derrière cette étude,
Matthias Egger, du département de médecine
sociale et préventive à l'Université
de Berne, en Suisse, était aussi, l'automne dernier,
derrière l'étude faisant état des liens
entre le Vioxx et les maladies cardio-vasculaires, étude
qui a accéléré le retrait de ce médicament
des pharmacies.
Qui plus est, toutes les grandes industries
ont leurs lobbyistes, incluant l'industrie pharmaceutique...
mais aussi l'industrie de l'homéopathie. Celle-ci
génère des milliards de dollars de revenus
chaque année et elle embauche elle aussi des lobbyistes
très efficaces. Leur principale stratégie
consiste non pas à démontrer les mérites
de l'homéopathie, mais à dénigrer la
pharmacologie.
2. Si l'industrie pharmaceutique et l'industrie homéopathique
défendent chacun leurs intérêts, comment
savoir qui a raison?
La seule et unique méthode valable,
c'est la recherche de preuves statistiques permettant de
répondre hors de tout doute à la question
"Est-ce que ça marche?" Tout médicament qui
se retrouve sur les tablettes des pharmacies doit être
passé par une batterie de tests sur des animaux
et des humains démontrant son efficacité
(le processus n'est pas infaillible, comme le démontre
justement le Vioxx, mais il a amplement démontré
son utilité). En revanche, jamais un produit homéopathique
n'a pu faire la preuve qu'il avait une efficacité
supérieure à celle d'un placebo (une fausse
pilule que le patient croit être vraie).
3. Pourquoi donc tant de gens prétendent-ils avoir
été guéris par l'homéopathie?
Deux raisons peuvent l'expliquer: premièrement,
l'effet placebo, c'est-à-dire cet impact positif,
dûment mesuré par la recherche depuis des décennies,
qu'a sur un patient un médicament, même un
faux médicament. Deuxièmement, notre propre
corps qui, avec son système immunitaire, dispose
de très puissants mécanismes de défense
contre la maladie, mécanismes qui sont encore loin
d'avoir été pleinement élucidés.
À cela, les homéopathes rétorquent
que des enfants de moins de deux ans et des animaux auraient
été guéris, eux chez qui l'effet placebo
ne joue certainement pas. Mais les recherches en question
sont vagues et peu convaincantes. Et en absence de suivi
médical, rien ne permet de confirmer si les enfants
souffraient vraiment de ce dont on a dit qu'ils souffraient,
si ce n'est pas leur système immunitaire qui était
à l'oeuvre ni si, à long terme, ils ont vraiment
été guéris. Le fait que l'industrie
homéopathique elle-même n'ait jamais publié
d'études sérieuses en double aveugle sur des
milliers d'animaux, chose qui ne serait pas difficile à
organiser, oblige à demeurer très sceptique.
4. L'étude de la semaine dernière est accusée
de s'être appuyée sur des données incomplètes.
C'est un faux argument puisque, comme l'explique
son chercheur principal, c'est "une étude d'études":
son équipe a passé en revue 110 études
majeures comparant divers produits homéopathiques
avec des placebos, et 110 études comparant des médicaments
avec des placebos. Dans les deux cas, pour des maux tels
qu'allergies, asthme et problèmes musculaires. Il
en résulte une très large perspective, de
loin supérieure à ce qu'aurait procuré
une seule étude portant sur un seul échantillon
de patients.
Matthias Egger ne nie pas qu'il y ait des
gens qui se sentent mieux après avoir pris leurs
gélules. Mais les chiffres parlent d'eux-mêmes:
"nous
n'avons trouvé aucune différence entre les
médecines homéopathiques et les placebos."
"Peut-être l'effet positif est-il dû,
dans une perspective plus large, au fait de rencontrer quelqu'un
qui s'intéresse à vous, qui écoute
votre histoire pendant beaucoup plus longtemps que ce que
ferait un médecin. Je ne suis pas surpris que des
gens aillent mieux."
Une
conclusion renforcée par un sévère
éditorial publié dans la même édition
de la revue britannique The Lancet, qui enjoint
les médecins à dire la vérité
à leurs patients.
La dernière ligne de défense
des homéopathes, exprimée
en fin de semaine dans le Globe and Mail par
la naturopathe torontoise Ruth Anne Baron, c'est que l'homéopathie
fonctionnerait en réalité lorsqu'on l'adapte
à chaque patient, ce qui empêcherait d'en mesurer
un impact global. Mais si tel est le cas, pourquoi cette
immense variété de produits homéopathiques
vendus en pharmacie sans prescription?
5. Est-il exact que l'homéopathie remonte à
la nuit des temps?
Non. L'homéopathie est une théorie
qui a été forgée de toutes pièces,
sans études cliniques, par l'Allemand Samuel Hahnemann
vers 1780. C'est à lui qu'on doit le principe de
dilution, qui est la base même de l'homéopathie:
ce principe dit que si vous prenez un produit X, et que
vous en diluez un litre dans 100 litres d'eau, puis que
vous prenez un litre du "mélange" ainsi obtenu et
que vous le diluez dans 100 litres d'eau (deuxième
dilution), puis que vous prenez un litre du nouveau mélange
et que vous le diluez dans 100 litres d'eau (troisième
dilution), et ainsi de suite jusqu'à la 7e
ou 8e dilution, le produit X n'en sera
que plus efficace.
A cette époque, la chimie était
encore balbutiante et on ne connaissait à peu près
rien des atomes et des molécules. L'arrêt de
mort de l'homéopathie a été signé
lorsqu'on est devenu capable de littéralement compter
le nombre d'atomes du produit X dans un litre d'eau, constatant
du coup que, après 7 ou 8 dilutions, 'il ne peut
plus rester un seul atome du produit initial. L'homéopathie
s'est dès lors retrouvée sans fondements.
Jusqu'à ce qu'au milieu du XXe siècle,
soit popularisée une nouvelle théorie, celle
de la mémoire de l'eau: l'eau garderait le souvenir
des molécules avec lesquelles elle a été
en contact. Ce fut une résurrection même
si cette théorie comporte, à sa face même,
une faille majeure: toute goutte d'eau qui se retrouve au
fond d'une bouteille est entrée en contact, au cours
des derniers millions d'années, avec tous les composés
chimiques possibles et imaginables que recèle notre
planète. Pas juste le produit X qu'un homéopathe
y a dilué.
Pascal Lapointe