En manchettes la semaine dernière:
2000, l'odyssée de l'espace-temps
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Génome
humain, phase finale
Sida au féminin
L'homme enceint
L'Amérique
aux urgences
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La fin du monde était pour hier
Or donc, l'apocalypse ne s'est pas produite. Les ordinateurs
n'ont pas flanché, et le ciel ne nous est pas tombé
sur la tête. Sauf que le temps des règlements de
compte ne fait que commencer. Aux quatre coins d'Internet, des
internautes commencent à poser des questions embarrassantes.
On ne saura sans doute jamais le fin mot de cette histoire.
Mais une chose est sûre, l'explication classique ("c'est
parce qu'on s'était bien préparés qu'on
n'a pas eu de problèmes") sonne faux: on nous répétait
depuis des mois que la Chine et la Russie n'étaient pas
bien préparées du tout et pourtant, il ne s'est
à peu près rien passé là-bas non
plus.
Il est assez ironique de lire un internaute, dans le forum
de discussion du cyber-magazine Multimédium le
3 janvier, accuser de pensée unique les médias
qui dénigrent aujourd'hui le bogue alors que s'il y en
a un qui n'a jamais été remis en question depuis
deux ans, c'est bien le bogue !
Le coupable: l'absence d'esprit critique
Pour s'en faire une idée, il suffit d'aller voir la
page spéciale
"an 2000" du magazineWired. Elle prend un
tout autre sens, depuis qu'on est passé de l'autre côté
du miroir : farcie d'articles où un risque d'apocalypse
n'attend pas l'autre, elle passe tour à tour de la paranoïa
la plus délirante aux peurs les plus irrationnelles. Tout
dans les titres et dans le ton employé, laisse croire
à un désastre inéluctable. Pas un seul de
ces textes ne laisse soupçonner qu'on se soit un seul
instant demandé, chez Wired: "... et si on
avait exagéré un tantinet?"
Il faut dire que ses lecteurs de longue date n'ont pas de
quoi s'en étonner. Pour tout ce qui touche à la
technologie, Wired possède autant d'esprit critique
qu'un hippopotame a de grâce.
N'empêche qu'il y a de quoi en être irrité,
par exemple lorsque, plutôt que de nous dire qu'il ne s'est
rien passé en Asie le 1er janvier, le magazine préfère
commencer son reportage par: "Le bogue de l'an 2000
demeure pour l'instant caché, à travers l'Asie..."
Les collègues du service de nouvelles ZDNet France
ne cédaient pas leur place, eux
qui affichaient toujours, le 2 janvier: "An 2000: derniers
préparatifs avant l'implosion".
Conscient qu'il était en train d'être présenté
comme le roi des idiots, l'informaticien canadien Peter de Jager,
qui fut l'un des premiers (dès 1993!) à tirer la
sonnette d'alarme du bogue, a écrit le 2 janvier un texte
intitulé: "Pourquoi
n'y a-t-il pas de chaos?" On peut y lire, entre autres:
"Toute cette excitation... a obligé les dirigeants
compétents à examiner leurs systèmes informatiques
en se posant une seule question. Est-ce que cette chose appelée
le bogue de l'an 2000 pose une menace aux ordinateurs qui bénéficient
à l'organisme? Si la réponse est oui, alors ils
ont pris des actions appropriées. Si la réponse
est non, alors ils l'ont ignorée avec raison."
Intéressant. Mais peut-être aurait-il fallu le
dire plus tôt à ceux qui avaient été
convaincus, eux, que s'ils ne dépensaient pas un sou,
ils passeraient pour des incompétents...
Peter de Jager est ce même informaticien derrière
le site au nom de domaine facile à retenir, www.year2000.com,
genre de centre d'achat virtuel des compagnies, livres et autres
produits liés au bogue. Lequel nom de domaine, en décembre,
a été vendu par de Jager pour la modique somme
de 10 millions $ US. Dans d'autres professions, on appellerait
ça un conflit d'intérêt...
Il ne s'agit pas de prétendre que nous nous sommes
fait arnaquer. Bien sûr qu'il y en a eu, des bogues. Un site se fait même un
plaisir de les recenser. Mais ce sont des "bogues"
avec un b minuscule: un magasin vidéo du New Jersey a
voulu facturer 91 000$ pour une cassette remise avec 100 ans
de retard. La radio de la BBC et le site de Star Trek
ont affiché "1er janvier 1900". Pas de quoi
paralyser les marchés financiers, provoquer des pannes
d'électricité ou lancer des missiles nucléaires...
Et c'est sans compter les prédictions encore plus apocalyptiques,
que les experts ne prenaient pas au sérieux, mais qui
n'en étaient pas moins émises par d'autres "experts":
crise
économique de 10 ans, New
York transformée en Beyrouth, épidémies
planétaires...
L'apocalypse est remise à une date ultérieure
Tiens, touchons-en un mot, de ces prophètes d'apocalypse.
On avait déjà parlé d'eux lors de l'éclipse
solaire d'août dernier. On
ne peut s'empêcher de constater qu'ils ont un point commun
avec tous les prophètes de fin du monde que les sociétés
ont engendrés, depuis l'aube de l'histoire: lorsqu'ils
s'aperçoivent que rien ne s'est passé, ils se découvrent
des échappatoires. Et leurs disciples, loin de vouloir
les lyncher, rentrent tranquillement à la maison, et attendent
la prochaine prophétie.
Le fait qu'il ne se soit à peu près rien produit
dans les pays où si peu de précautions ont été
prises suggère au communicateur scientifique américain
Russ George une comparaison avec les placebos -les fausses pilules
utilisées pour tester de nouveaux médicaments:
si les patients ayant pris le placebo se portent aussi bien que
ceux qui ont pris la vraie pilule, c'est que l'efficacité
de celle-ci laisse à désirer... "Il semble
que la quantité de problèmes attribués au
bogue dans les pays qui ont employé la pilule coûteuse
soit insignifiante par rapport à ceux qui n'ont pratiquement
fait aucun effort."
Science surnaturelle
Donc, pas de Bogue, que des petits bogues. La question de
départ reste par conséquent entière : aurions-nous
exagéré ? Etait-il nécessaire d'aller si
loin dans l'enflure ? Etait-il inévitable de ne retenir
dans les reportages que le scénario du pire ? Comment
expliquer que tant de journalistes, mais aussi de simples citoyens,
aient pu croire qu'un ascenseur pourrait tomber, ou qu'un pace-maker
cesserait de fonctionner, juste parce que ces appareils ne sauraient
plus quelle date on est? Il n'est pourtant pas nécessaire
d'avoir la moindre connaissance en informatique pour se servir
de son gros bon sens...
À moins que, justement, nous ne soyons tellement intimidés
par la science et les techniques que nous assimilions cela à
du surnaturel ?
Si c'est là que réside la réponse, préparez-vous,
parce que des prophètes d'apocalypse, il y en aura d'autres
au XXIe siècle -comme il y en a eu depuis l'aube de l'histoire-
et ceux-là utiliseront en abondance des arguments scientifiques
et techniques. Le bogue de l'an 2000 n'était peut-être
qu'un avant-goût...
Recherche et rédaction: Pascal Lapointe
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