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En manchettes sur le Net est
une production Agence Science-Presse
 |
Ceci n'est pas un clone
"Le premier clone humain est né", ont proclamé
les médias la semaine dernière. Eh bien désolé,
chers collègues, mais vous aviez tout faux. Ce sera pour une prochaine
fois.
Tout cela a commencé par un reportage paru à la Une du
quotidien populaire britannique Daily Mail, le 17 juin. Le titre
-"le premier embryon humain cloné"- a tant et si bien fait
sensation qu'il a été repris en 24 heures par à peu
près toutes les agences de presse de la planète. Ce qu'on
pouvait y lire se résumait à ceci: des chercheurs de la firme
de biotechnologie américaine Advanced Cell Technology (ACT) auraient
finalement commis l'impensable: l'embryon d'un clone humain -un mâle-
aurait été conçu, se serait développé
en éprouvette pendant 12 jours puis, arrivé à ce stade
-environ 400 cellules- aurait été détruit. Les chercheurs,
soucieux d'éthique, si l'on peut dire, auraient en effet arrêté
là l'expérience: s'il avait été implanté
dans l'utérus d'une femme, cet embryon aurait peut-être pu
être mené à terme.
Multiples petits problèmes avec cette histoire:
* primo, la photo de l'embryon, que le Daily Mail proclame avoir
obtenue en "exclusivité", n'est pas du tout la photo d'un
embryon. C'est une photo de cellules-souches, ou cellules embryonnaires.
On y revient plus loin.
* secundo, rien d'exclusif là-dedans: la photo en question avait
été diffusée par ACT le 12 novembre 1998, lorsque celle-ci
a annoncé avoir mis au point une méthode de culture en éprouvette
de ces fameuses cellules-souches. L'Agence Science-Presse vous en avait
alors parlé abondamment, dans cette même
page: c'était, scientifiquement et médicalement, un événement
historique -et diablement inquiétant.
* tertio, un
embryon humain de 12 jours est constitué de milliers de cellules,
pas de 400. "S'il en a seulement 400 après tant de temps,
explique à Libération Jean-Paul Renard, spécialiste
français du clonage, c'est qu'il ne s'agit pas d'un embryon, mais
d'un amas de cellules embryonnaires qui se sont multipliées in vitro
et qui, en aucun cas, ne pourrait se développer en un être
entier."
* quarto, on serait bien incapable, avec la technologie actuelle, de
faire se développer en éprouvette un embryon pendant plus
de huit jours.
Cellules-souches et non clonage
Or donc, que montre la photo? Des cellules souches. Autrement dit, des
cellules qui ne se sont pas encore spécialisées, et auxquelles
on peut en théorie ordonner -la découverte de novembre dernier,
c'était ça- de se transformer en n'importe quel tissu du corps
humain ou en un organe. Une usine à organes, quoi. De quoi soigner
des tonnes de maladies dégénératives (comme l'Alzheimer,
en remplaçant des tissus cervicaux), en plus des transplantations
(de peaux ou d'organes).
Et la découverte de novembre, comme on l'a appris peu de temps
après, n'est pas sans liens avec le clonage: supposons qu'on veuille
vous transplanter un poumon. Plutôt que de faire "pousser"
en laboratoire n'importe quel poumon, vaudrait mieux en faire pousser un
à partir de vos propres cellules, ce qui éviterait les risques
de rejet. Donc, en quelque sorte, on créerait un clone de vous-même,
mais un clone qui n'aurait que "quelques cellules de large", et
qui ne servirait qu'à "produire" ce poumon. Il
n'a jamais été envisagé -et en fait, il ne serait même
pas été possible- de créer un bébé à
partir de cela.
On a même inventé une nouvelle expression pour cette "stratégie":
le clonage thérapeutique. Sur cela aussi, nous avions insisté
lourdement il y a quelques mois.
En conséquence, derrière cette nouvelle du Daily Mail,
il y avait bel et bien clonage sous roche. Mais pas du tout celui qu'on
s'est imaginé à lire les titres, repris
notamment par la BBC.
En fait, toute cette affaire, avant même d'être scientifique,
est commerciale. Une compagnie comme ACT, ou son homologue Geron -qui s'est
associée ce printemps à l'Institut Roslin, où est née
Dolly en 1997- n'a rien à cirer de la création d'un clone
humain, dans la mesure où il n'y a pas de marché là-dedans
-du moins, pas tant que la technologie qui a permis de créer Dolly
ne sera pas davantage au point, ce qui est très loin d'être
le cas (voir notre manchette d'il y a deux semaines).
En revanche, il y a un marché potentiellement plus lucratif du côté
des cellules-souches: le marché multi-milliardaire des transplantations
et des greffes.
Et pour produire ces cellules-souches en série, on expérimente
plusieurs choses, dont -interdit de rire- les ovules de vache, moins rares
que les ovules humaines -et cela aussi est au centre de la controverse de
la semaine dernière: ACT
expérimente cette "méthode" depuis novembre,
et la culture de cellules embryonnaires qui avait été alors
photographiée devrait apparemment son existence à une ovule
de vache. C'est une méthode propre à ACT, son concurrent,
Géron, préférant l'utilisation d'ovules humaines; l'approche
d'ACT suscite d'ailleurs le scepticisme de certains scientifiques, rapportait
la semaine dernière le New York Times -avant l'éclatement
de la "crise du Daily Mail".
Tous ces travaux sont réalisés, aux Etats-Unis, uniquement
grâce à l'argent de l'entreprise privée, en raison d'un
interdit pesant depuis quatre ans et demi sur les subventions gouvernementales:
celles-ci ne peuvent être utilisées pour toute recherche impliquant
des embryons humains. Mais les recherches ne sont pas pour autant illégales,
au
contraire de ce qui se passe en Grande-Bretagne.
Donc, clonage thérapeutique, et seulement clonage thérapeutique,
promettent les entrepreneurs. Mais jusqu'où cela leur permettra-t-il
d'aller? Où passera la frontière entre ce clonage-là
et le clonage tout court, ou "clonage reproductif"? Que se passerait-il
si les scientifiques de l'ACT avaient bel et bien produit en novembre un
véritable embryon -avec la certitude que cela serait utile pour l'industrie
pharmaceutique?
Les
progrès du clonage sont si rapides qu'un nouveau débat s'impose,
déclare le président de l'Association médicale mondiale,
Anders Milton -une association qui représente 70 associations médicales
nationales, et qui s'est fermement prononcée contre le clonage humain.
Mais cette prise de position, c'était il y a deux ans, et depuis,
justement, les "progrès" ont été si rapides
que... |