Il y a 4,4 millions d’années, une femelle qui ne savait pas encore qu’elle deviendrait célèbre, folâtrait entre sol et branches. Il y a quelques jours, un millionnaire déjà célèbre sautillait à 350 km d’altitude.

Ardi, ou Ardipithécus, « la » spectaculaire découverte scientifique qui, jeudi dernier, a fait le tour de la planète aussi vite que la station spatiale, fut de cette catégorie d’êtres qui anticipent le changement : elle était aussi à l’aise à se balancer de branche en branche qu’un acrobate sur son trapèze, mais elle pouvait aussi marcher sur ses deux jambes. Et son espèce, Ardipithecus ramidus, le faisait alors que rien ne l’y obligeait : elle vivait encore dans la forêt (aujourd’hui disparue), et non dans la savane.

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Seulement deux choses, expliquent les biologistes, peuvent expliquer cette impulsion à aller là où nul n’est jamais allé : la nourriture... et le sexe. Et comme la nourriture était abondante, tout se ramène au sexe, selon l’anthropologue Owen Lovejoy : épater la femelle en accomplissant un exploit hors du commun —pour l’époque : ramener de la nourriture qu’on n’aurait pu ramasser dans les arbres, parce que les deux mains sont occupées à s’agripper.

Ensuite, et ensuite seulement, deux millions d’années plus tard, viendrait la nécessité d’inventer les premiers outils, et deux autres millions d’années plus tard, une station spatiale.

Nonosses

S’il a fallu 15 ans au paléontologue Tim White, entre le moment où il a publié le tout premier compte-rendu de l’existence de ces ossements et aujourd’hui —11 articles signés par lui-même et 46 autres dans la revue Science — c’est parce que ce petit pas pour Ardi, bond de géant pour l’humanité, ne saute pas aux yeux. Comparer, en 1974, notre anatomie à celle de l’australopithèque Lucy —autre célébrité— c’était facile. Mais Ardi, un million d’années plus vieille que Lucy, où se place-t-elle sur les branches menant au chimpanzé, à Lucy ou à Guy Laliberté?

Et ce n’est pas fini... Entre pertes de calcium et atrophie des membres, les médecins s’accordent pour dire que si nous colonisons un jour l’espace, nos descendants seront peut-être aussi différents de nous que nous le sommes d’Ardi. Si des archéologues, dans 4,4 millions d’années, devaient découvrir un squelette sur la station spatiale, pourraient-ils en déduire quelque étape de transition entre l’Homo Sapiens et l’Homo Cosmicus? Que concluraient-ils du nez rouge?

Les questions non résolues sont donc encore nombreuses. Ces 11 articles signés par 47 paires de mains ne sont qu’une « première salve ». L’information scientifique s’accommode mal des feux du chapiteau. Elle se construit lentement : une goutte à la fois.

Cette lenteur convient parfaitement à un Tim White, qui regarde le passé, mais pour tous les autres, qui regardent le futur, un clown dont l'éclat estompe le museau de son ancêtre pourrait s’avérer être un moindre mal, si cela permet d’éviter qu’un monde entier ne prenne à son tour le chemin des forêts et des savanes disparues.

Pascal Lapointe

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