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Il y a 35 ans, une idée qui, à l’époque, avait pu paraître farfelue, allait germer parmi les médias québécois : une agence de presse spécialisée en science, destinée à alimenter les petits médias en nouvelles scientifiques.

Depuis sa fondation, l’Agence a bien changé : d’un service de nouvelles desservant l’ensemble des hebdos régionaux à ses débuts, elle est devenue, avec Internet, un imposant site d’informations scientifiques, rejoignant des centaines de milliers de passionnés chaque année, dont une importante proportion venant de France.

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Nous vous proposons d’ici le 22 novembre, jour de célébration des 35 ans, de passer en revue certains des bons coups… et d’autres curiosités.

La stratégie créationniste

Comment faut-il juger l’affrontement, à coups de manuels scolaires, entre créationnistes et scientifiques? Pour la plupart des observateurs, c’est un phénomène propre à cette nation parfois bizarre que sont les États-Unis. Pour d’autres, c’est la pointe d’un iceberg, qui dissimule par conséquent des mouvements plus profonds: s'y entremêlent une remontée des intégrismes religieux, une désaffection à l’égard des autorités et une méfiance plus grande face à la science.

Quelle que soit la raison, on ne se doutait pas en 1998, quand on a commencé à écrire sur le créationnisme, que le sujet offrirait encore, 15 ans plus tard, autant de raisons de s’étonner —et de s’inquiéter.

Et Dieu créa Darwin

La bataille entre scientifiques et créationnistes a pris un nouveau tournant: l'Académie américaine des sciences a publié un rapport intitulé "Enseigner l'évolution", qui enjoint les écoles à inscrire l'évolution des espèces dans leurs cours, et à laisser le débat sur la Création aux cours de religion.


Qu'il faille en aller là rappelle à quel point le débat a pris de l'ampleur aux États-Unis. En dépit de décisions judiciaires qui avaient décrété que le "créationnisme scientifique", comme ses partisans l'appellent, n'est pas une science, et qu'il est donc illégal d'imposer son enseignement en lieu et place de l'évolution, en dépit de cela, le très intense lobby se poursuivait, et avait atteint ces dernières années des proportions qu'on n'aurait jamais cru possibles il y a 10 ans.

Dans plusieurs États américains du Sud, des conseils scolaires imposent que soient enseignés, sur un pied d'égalité, le "Créationnisme" et "l'Evolutionnisme". Quelques États songent sérieusement à retirer le terme "évolution" des programmes. En Alabama, les livres utilisés dans les cours de biologie contiennent désormais un avertissement, selon lequel l'évolution est seulement une "théorie controversée".

Conséquence, écrit le magazine britannique The New Scientist, apparemment pantois devant ces étranges Américains: "trop souvent, les enseignants trouvent une façon de s'en sortir en omettant tout simplement la question "controversée" de l'évolution."

Des félicitations sont donc de rigueur à l'endroit de la National Academy of Sciences, pour son rapport intitulé Teaching about Evolution and the Nature of Science, qui s'est mérité jusqu'à la Une du Washington Post (10 avril):

dans ce qui constitue un geste inhabituel, l'Académie a publié un manuel de l'enseignant élaboré, qui décrit comment l'évolution devrait être discutée avec les élèves, et comment répondre à des questions délicates, incluant celles des parents. Le livre définit l'évolution comme le concept le plus important de la biologie moderne, et s'insurge contre le fait que des étudiants en entendent peu parler, parce que leurs professeurs sont réduits au silence par des groupes religieux.

Les groupes religieux conservateurs ne sont évidemment pas contents: "nous croyons, déclare au Washington Post Arne W. Owens, porte-parolede la Coalition chrétienne, que les communautés ont le droit de voir leurs valeurs reflétées dans le programme scolaire. On nuit aux écoles publiques lorsqu'on y empêche l'expression de points de vue importants et légitimes."

Le rapport, qui tente d'expliquer ce qu'est la méthode scientifique (notamment en définissant clairement pourquoi on parle de "théorie") et ce qui distingue la science de la religion, insiste sur le fait —apparemment pas évident pour plusieurs— qu'on peut très bien croire en Dieu ET accepter l'évolution. Son argument final tombe en plein dans le politiquement correct: chaque religion a sa propre idée de la création, et parce que les écoles sont "religieusement neutres", aucune croyance ne devrait être présentée de préférence aux autres...

"C'est, conclut le New Scientist, la nature de la science que de poser sans fin des questions, et c'est la nature de la religion que d'avoir des doctrines bien établies. Leur coexistence ne sera jamais facile, mais les efforts de l'Académie devraient au moins rendre désormais plus facile l'enseignement de l'évolution." C'est la grâce qu'on leur souhaite...

- par l’Agence Science-Presse, 20 avril 1998

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