En fait, la souris vient
de monter en grade: elle est désormais
classée comme une de nos proches
cousines.
Pour les scientifiques,
c'est plutôt une confirmation
qu'une annonce: c'est
en mai dernier que les diverses
équipes internationales travaillant
depuis quatre ans au décodage
du génome de la souris avaient
annoncé la fin de leurs travaux.
Mais c'est seulement la semaine dernière,
après les étapes habituelles
de révision, que leurs résultats
sont parus dans la revue britannique
Nature.
Accompagnés d'une foule d'analyses
et d'interrogations: et à présent,
que fait-on avec toutes ces données?
Saviez-vous par exemple
que l'ancêtre commun à
la souris et à l'humain vivait
il y a 125 millions d'années,
soit à l'époque des dinosaures?
Bien plus, cette créature, qui
faisait à peu près la
taille d'un petit rat, serait l'ancêtre
commun à tous les mammifères
modernes.
La conséquence,
c'est que des masses de gènes
et de séquences de gènes
sont
identiques chez la souris et chez l'humain.
En fait, plus de 99% des gènes
de la souris se retrouveraient chez
nous (bien que certains soient depuis
longtemps inactifs chez nous, comme
celui qui sert à faire pousser
une queue). De quoi étudier de
très près les causes d'une
série de maladies, du cancer
jusqu'aux problèmes cardiaques
en passant par le diabète.
En fait, ils sont plusieurs
experts à dire que ce décodage
du génome de la souris contient
davantage de promesses que le décodage
du génome humain. La raison
étant qu'il faut moins de temps
pour observer les modifications causées
par un gène: une souris ne met
que quelques semaines à devenir
adulte et vit moins de deux ans, avec
pour résultat que le renouvellement
des générations se mesure
en mois.
Saviez-vous aussi que
la population de souris de laboratoires
atteindrait les 25 millions? Nancy Jenkins
et Neal Copeland en savent quelque chose:
eux qui sont cités en exemple
par Nature, travaillent sur des
souris depuis 1980. Aujourd'hui responsables
du Programme de génétique
du cancer de la souris à l'Institut
national du cancer de Frederick (Maryland),
ils se rappellent de l'époque
où tenter d'identifier une mutation
responsable du cancer chez la souris
relevait de l'héroïsme:
il fallait croiser entre elles un millier
de bestioles afin de découvrir,
après quelques années,
si l'une ou l'autre des 20 séquences
de gènes identifiées comme
suspectes démontrait un changement.
De quoi occuper un étudiant pendant
tout son doctorat!
Aujourd'hui, avec les
quelque 30 000 gènes et leurs
2,5 millions de paires de bases rassemblés
dans une banque de données (de
2,5 Gigs, avis aux amateurs de chiffres)
et accessibles à tous (au contraire
des génomes plus commerciaux
et pour cette raison controversés),
un chercheur peut simplement fouiller
dans la banque après avoir croisé
les souris qu'il a génétiquement
modifiées, examiner les protéines
qui sont encodées par les gènes
visés, et choisir celle qui lui
apparaît la plus prometteuse à
analyser. "Il nous a fallu, résume
Copeland, 15 ans pour obtenir 10 gènes
constituant des causes possibles de
cancers... Et il nous faut (maintenant)
quelques mois pour avoir 130 gènes."
Mieux encore, avec les
génomes de la souris et de l'humain
placés côte à côte,
il devient beaucoup plus facile de croiser
les données des uns et des autres,
et de rechercher des parallèles
encore insoupçonnés entre
notre cousine et nous. Déjà,
un deuxième article paru dans
cette même édition de Nature,
par une équipe suisse, se penche
sur le chromosome 21 qui, chez nous
comme chez elle, montre des similitudes
étonnantes, même dans les
régions dites "pauvres en gènes".
Pour des organismes qui se sont séparés
il y a 75 millions d'années,
c'est fort étonnant, et c'est
le genre d'information qui cache certainement
autre chose.
De quoi faire saliver
oncologues, cardiologues, neurologues
(ceux qui espèrent découvrir
des causes génétiques
à des maux tels que le Parkinson),
sans parler des compagnies pharmaceutiques...
Toute la communauté biomédicale,
résume Jane Rogers, qui a dirigé
le séquençage à
l'Institut Sanger de Cambridge (Angleterre)
"dispose maintenant d'outils puissants
qui la serviront pendant plusieurs décennies".
Bref, la souris est devenue
la meilleure amie du scientifique...