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L’étude des blogues suscite de plus en plus l’intérêt de la communauté scientifique médicale et est en voie de devenir une nouvelle source d’information sur la maladie.

Et pour cause : des recherches(1) rapportent effectivement que beaucoup de patients, particulièrement chez les plus jeunes générations, ne se reconnaissent pas dans les approches cliniques traditionnelles comme les groupes de soutien par exemple, et qu’ils se tournent plutôt vers Twitter, Facebook et les blogues où ils partagent leur expérience de la maladie et échangent avec d’autres patients.

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Un enjeu qui interpelle le réseau de la santé et l’invite à se questionner sur sa compréhension du phénomène, tout en le conviant à dépasser les préjugés à l’effet que les plateformes du web social ne sont que des vecteurs d’informations médicales erronées et que les échanges entre patients sont, pour l’essentiel, anecdotiques.

L’avenue empruntée par deux chercheurs de l’École de Sciences infirmières de l’Université de Virginie qui ont publié dans Nursing Oncology Forum les résultats d'une recherche(2) fort intéressante, donne à voir comment une approche ethnographique de ces communautés en ligne permet de mieux comprendre la perspective de jeunes(3) femmes sur leur expérience du cancer, à travers l'analyse des publications de leurs blogues.

Évidemment, l’étude comporte certaines limites et repose sur l’examen de 16 blogues, mais elle a le mérite de mettre en lumière quatre grandes étapes communes qui jalonnent le parcours de ces jeunes femmes, en plus de préciser la nature de ces marqueurs temporels, à partir du diagnostic, jusqu’à la phase de survivance post-traitement.

Vivre dans l'entre-deux (Living in the Middle)

L’annonce du diagnostic, comme on le sait, constitue souvent un choc, ce que les jeunes blogueuses décrivent être un moment surréel où s’abat sur elles la compréhension soudaine que leur vie est à jamais changée. Au même moment, toutes ont exprimé le souhait que les choses redeviennent comme avant, normales. Le rapport au temps change, la vie est comme suspendue, l’incertitude devient quotidienne. «Lourdeur (heaviness), nuages (clouds), trous noirs (black holes), éclats de verre brisé (jagged glass), sont les mots qu’elles utilisent pour exprimer le sentiment qui les habite au moment du diagnostic.

Être patiente : une nouvelle normalité (New Normal)

Pendant cette période, les femmes décrivent avoir le sentiment d’une perte d’identité, au profit de celle de patient, de devenir des «patientes permanentes» et que ce statut est leur nouvelle réalité, nouvelle normalité.

Le début des traitements marque le passage à une autre phase paradoxale où cette incertitude, toujours présente, cède le pas, en alternance, à la routine presque sécurisante du combat contre la maladie : des journées qui, auparavant étaient dictées par les études, le travail, la vie sociale deviennent des journées organisées autour des traitements, résultats de laboratoire, des rendez-vous avec l’oncologue, des décomptes de la fin d’une radiothérapie ou d’une chimiothérapie; les dates des nouveaux scans s’inscrivent à l’agenda. Le plan de traitement devient le point de focus de leur existence.

D’une certaine façon, il y a moins d’incertitude que dans la phase du diagnostic, parce que les patientes apprennent rapidement à quoi s’attendre des traitements, elles se familiarisent avec les centres de soins, tissent des relations avec le personnel soignant, connaissent avec plus de précision les étapes de la radiothérapie ou de la chimiothérapie ainsi que leur cortège d’effets secondaires. Sur les blogues, la majorité des femmes expriment de la gratitude envers leur famille et amis pour leur soutien pendant les traitements, tandis que d’autres se sont senties mal à l’aise d’être si dépendantes de leur entourage.

Pendant cette période, les femmes décrivent avoir le sentiment d’une perte d’identité, au profit de celle de patient, de devenir des «patientes permanentes» et que ce statut est leur nouvelle réalité, nouvelle normalité. À cette étape, elles sont difficilement capables de s’imaginer reprendre leur vie comme « avant le cancer ». Quelques unes qui ont pu conserver un lien d’emploi se sont d’ailleurs estimées chanceuses de pouvoir préserver des éléments de leur vie «d’avant ».

Les jeunes femmes sont profondément conscientes de l’importance de profiter de chaque moment de l’existence et de tout ce qui était auparavant pris pour acquis. Dans les récits des blogueuses, cela s’incarne de plusieurs manières : ces moments sont souvent décrits comme étant idylliques, car ils réussissent à faire oublier le cancer, même si c’est pour un bref instant. Une des blogueuse de l’étude a cependant exprimé son désarroi à cet égard et qu’il lui était impossible de percevoir ces moments d’éclaircie à travers son désespoir.

Le sentiment d’urgence : un dialogue avec la mort (Urgency)

Après le début des traitements, beaucoup de femmes sont demeurées positives au sujet de leur pronostic, toutefois, à mesure que les traitements avancent, une autre distorsion du temps s’installe: un sentiment d’urgence à réaliser des objectifs qui étaient considérés moins importants avant la maladie. Il coïncide souvent avec une plus grande incertitude face au futur, une fois que le diagnostic a été pleinement accepté.

La prise de conscience plus concrète de sa finitude caractérise cette phase où les blogueuses partagent librement leurs réflexions sur la mort. Cette question est centrale dans l’étude, comme en témoigne son titre évocateur Talking With Death at Diner : Young Women’s Online Narratives of Cancer. L’extrait émouvant qui en a inspiré le titre raconte le rêve d’une jeune femme au cours duquel elle s’entretient avec la mort :

Reallistically though, one must confront the possibility of not-so-favorable outcomes. One must confront death. I had a dream a couple of nights ago in which I did just that. You see, I had a conversation with death. At Denny’s no less, which I can only assume signifies purgatory or Hell or some horrid sterile place. We sat at a booth and had a cup of coffee. I had a sense death was a man, but with no discernable body. Just fuzzy blackness. I never looked directly at him, just stared at the speckled beige tabletop. We worked it out. We’ve reach an understanding. I’m not going to die anytime soon. I was conscious that it was a dream, but still terrified in the beginning, as if thinking about it would usher death in. It was like a nervous first date, I slowly became more comfortable as the conversation progressed.

Si la peur est omniprésente dans les écrits, surtout au début, elle finit généralement par s’estomper. Même dans le cas où le pronostic s’avère mortel, les jeunes femmes sont en paix avec l’inéluctable et se préoccupent plutôt du sort de leur famille après leur départ que de leur propre mort.

En transition vers l’inconnu (Transition into the Abyss)

Pour celles qui entrent dans la phase de survivance, de rémission à long terme, la transition à la normalité de la vie post-cancer n’est pas toujours facile. Physiquement, le corps est toujours en train de récupérer et parfois elles subissent encore les effets des traitements. Émotionnellement, plusieurs souffrent d’une anxiété liée à la crainte d’une récidive. Une des jeunes femmes a utilisé l’expression «transition to the abyss» qui traduit ce temps de lutte et d’espoir renouvelé. Pour d’autres, il s’agit aussi, d’une certaine façon, de faire le «deuil de leur mort», s’étant préparées au pire.

Cette transition vers la survivance est décrite comme moins abrupte que celle du diagnostic et, bien que libératrice, il peut toutefois être bouleversant de reprendre sa vie là où on l’a laissée pendant le combat contre la maladie. Même si le temps retrouve son cours normal et reprend ses droits, le sentiment que la vie est précieuse persiste : la santé ne doit pas être prise pour acquis.

Une fois que les jeunes femmes se sont senties plus à l’aise dans cette nouvelle phase, l’inconnu s’est avéré plus positif, il s’est rempli de créativité, et de nouvelles possibilités. L’accablement initial cède le pas à la capacité de s’imaginer à nouveau un futur, une vie. La crainte d’une récidive est toujours présente, mais cohabite souvent avec un certain contentement et bien-être. Plusieurs se lancent dans de nouveaux projets, non parce que l’expérience de la maladie leur a donné le courage de le faire, mais parce que la perspective de l’échec est moins intimidante après avoir vécu le cancer. La vie reprend son cours, avec le sentiment qu'elle leur a donné une seconde chance.

Conclusion

Les blogues sur la maladie offrent une perspective intéressante sur le récit intime de l’expérience des patients pour mieux comprendre, dans le cas de cette étude par exemple, cette expérience universelle de la conscience de sa finitude, lorsqu’elle est éprouvée dans son corps et ce que cela signifie, plus particulièrement, pour de jeunes adultes. Ces réflexions ne peuvent qu’enrichir le corpus de connaissances et ultimement, améliorer les pratiques de soins et les interventions auprès des patients.

* La version originale de ce texte a d'abord été publiée sur le site e-santé communication

Sources et références :

1. Voir notamment l’étude de Keim-Malpass et Steeves (2012, p. 373) 2. Keim-Malpass, J. et Steeves, R. (2012). «Talking With Death at Diner : Young Women's Online Narratives of Cancer», Oncology Nursing Forum, Vol. 39, no 4., p. 373-406. 3. Patientes âgées de 23 à 39 ans au moment du diagnostic, avec un âge moyen de 30 ans.

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